Vêtus de longs draps noirs aux cols immaculés,
Comme un vol de corbeaux nourris par la charogne,
Orgueilleux procureurs : ils jugent sans vergogne
Et fondent leurs verdicts d’arguments éculés…
Imbus de leurs fonctions, par leurs rôles saoulés,
Baladins et bouffons achèvent la besogne ;
La justice bafouille et se dandine ivrogne :
La cour est un théâtre aux acteurs décalés…
L’arbitraire pour toise, oscille la balance,
Son peson est faussé, chacun n’a pas sa chance,
Sous l’or et l’apparat l’humain apparaît nu !
Ni ange, ni démon, innocent ou blâmable,
Avant le jugement considéré coupable ;
C’est le dos courbé que se tait le prévenu…
Le critique roumain Lucien Goldmann ( né en 1913 – 1970) a qualifié l’écrivain ou le poète de « médiateur » parce qu’il exprime artistiquement les tourments de la classe à laquelle il appartient et les transmet aux lecteurs .Dans ce poème ,l’auteur dont nous connaissons l’engagement et le militantisme, exprime à haute voix et dans une langue poétique subtile, aussi bien du point de vue rythme que celui des images, ce que chuchotent les gens dans leurs coins à propos des pratiques illicites de certains juges qui abusent de leur pouvoir au détriment des droits des prévenus . Cependant , le poème ne vaut pas seulement par son contenu et l’attitude courageuse de son auteur à l’égard de ce fléau social mais aussi par ses images surprenantes dont cette comparaison des juges à un vol de corbeaux nourris par la charogne et la forte charge émotionnelle que suscite la position humiliante dans laquelle sont décrits les accusés déjà considérés « avant le jugement coupables » des verdicts prononcés à leur encontre sans preuves accablantes ( C’est le dos courbé que se tait le prévenu…).
Un autre échantillon de poèmes engagés qui prouve que ce genre d’écriture poétique ne nuit pas nécessairement à la valeur esthétique du texte .Mais reconnaissons que ce n’est pas à la portée de n’importe quel poète de réaliser cette équation difficile .