Entretiens de « Culminances » : 12- Avec le poète italo-belge Gaëtan Parisi 16 octobre 2018 Gaëtan Parisi Qui est Gaëtan Parisi ? Gaetano Parisi appelé ” Gaëtan” depuis sa tendre enfance; est né en Sicile le 20 mars 1963. Son père a émigré en Belgique alors qu’il n’avait que deux ans. Gaetano exerce le métier d’architecte à Bruxelles (Belgique) et à Agadir (Maroc). Les thèmes de sa poésie sont assez divers mais le sujet qui y est le plus prépondérant est celui de la rupture amoureuse .Et cette rupture est associée dans l’esprit du poète à un souvenir amer et douloureux d’une bien-aimée cruelle pour laquelle il voue une passion indescriptible. Et en se mettant, dans la plupart de ses poèmes, dans une position adorative et en plaçant sa bien-aimée dans celle d’une déesse vénérée malgré son comportement hautain tranchant et sévère, il présente l’image d’un amoureux fou et obsessionnel. Cependant la constance de ce thème général dans sa poésie ne l’a pas empêché d’en générer un nombre illimité de sous-thèmes, lui évitant ainsi de se répéter. Stylistiquement, ses poèmes se distinguent par leur texture rythmique externe et interne très soutenue grâce à la régularité des rimes, l’accourcissement des vers et l’usage massif de l’anaphore, l’allitération et l’asyndète ainsi que par la haute fréquence de l’amplification et des métaphores inédites. Ses recueils de poèmes : Chant de velours, Épingle à Nourrice Editions 2014 – 2ème édition ,Edilivre 2015 – Fruits rouges Épingle à Nourrice Editions 2013, 2ème édition ,Edilivre 2014 – La passiflore de Venise ( conte poétique), Edilivre 2014 –Un sourire, un baiser , une larme,Edilivre 2016. Question 1 :Vous êtes architecte et poète et on dit que la profession influe inconsciemment sur les écrits du poète. Et cela se constate dans la tendance didactique chez le poète enseignant, informationnelle chez le poète journaliste et par contre dans l’errance chez le poète chômeur. Sentez-vous qu’il y a une influence quelconque de votre profession sur votre style poétique ? Gaëtan Parisi :Tous les architectes ne sont pas poètes, mais tous les poètes sont architectes.Le terme “poète” a été formé à partir de la racine grecque signifiant ” création “. Un poète est donc avant tout un créateur, celui qui fait œuvre. La matière qu’il travaille est spécifique, puisqu’il s’agit des mots. A vrai dire, je ne pense pas que mes poèmes transpirent le métier d’architecte. Par contre, je peux admettre que je travaille mes textes avec la même rigueur qu’en architecture, la même précision, la même inventivité avec un souci constant de la recherche d’un équilibre harmonieux, de la structure la plus appropriée. Faire de la poésie, c’est mettre en place des sonorités à partir de sensations qui sont identiques dans le crayonné d’un projet de construction. Comme l’architecte, le poète énonce des idées ou des images avec son propre langage. Tant dans mon travail d’architecte que dans mes poésies, j’essaye d’être un homme inspiré ; mais par la force des choses on reste un simple artisan travaillant le texte comme on travaille un dessin. Bien qu’elle soit indéfinissable, mon rêve reste d’atteindre la beauté, à la manière de Baudelaire dont j’adore les écrits, c’est sans doute présomptueux ; mais je l’assume. Alors est-ce que l’architecte déteint sur le poète ? A vous de le dire, à vous de me lire. Poète et architecte, je prends ma place dans ce monde non seulement à géométrie variable mais surtout en apparence très antithétique. Poète et architecte, je suis dans et avec la société lorsque les deux activités sont porteuses de mémoire et d’histoire. Poète et architecte, je suis exilé de cette société par une sensibilité toute personnelle. Poète et architecte, je suis à « l’avant » de la société, comme la proue d’un navire, quand je cherche à entrevoir ce qui n’est pas encore. Question 2 :Vous êtes né en Italie, vous vivez depuis votre enfance en Belgique et vous avez un bureau de travail au Maroc ainsi que des liens très solides avec le milieu littéraire marocain. Comment vivez-vous en tant que poète cette pluralité de l’espace qui est en même temps une pluralité culturelle ? Gaëtan Parisi :Je suis assez content que vous ayez utilisé le mot « espace « dans votre question. L’espace, c’est comme un liquide amniotique qui nous maintient en vie dans ce monde. En effet, si je prends l’exemple de la ville, ce qui me rapproche de ma formation d’architecte, la mégapole apparaît comme un espace morcelé et partagé par des populations hétérogènes qui la composent. Le partage de l’espace demeure au centre de nos préoccupations et de nos interrogations profondes, suivant nos différentes cultures ou hasard de vie. Si on se place en dehors de cette ville, alors on remarquera des mécanismes de tri urbain qui fractionnent l’espace suivant des régularités impersonnelles. Par contre vu du dedans, tout un chacun semble amené à composer et à cohabiter au sens large avec les autres sans aucune discrimination et suivant des intentions toutes personnelles. Mon univers de poésie est une de ces villes que je vis au quotidien et du dedans. J’ai eu la chance de faire des rencontres extraordinaires au Maroc, en Belgique et au sein de ma communauté italienne. Et pour moi tout est entremêlé et indissociable. Cette pluralité culturelle n’est donc pas une disparité, une diversité, une variation ; c’est-à-dire, le contraire de l’uniformité et de l’homogénéité. Elle est comme la lumière composée de différentes ondes de couleurs. Des couleurs complémentaires à partir du moment où on pratique la même passion en l’occurrence la poésie. J’ai donc cette chance inouïe de vivre cette pluralité culturelle car elle est synonyme de dialogue et de valeurs partagées. Je plane donc dans un espace de rencontres et de pluralisme, mais inévitablement aussi dans un espace où certaines valeurs s’opposent. Mais là, est le miracle de la poésie car toutes nos différences ne sont pas un frein au partage. Au contraire, ce sont des enrichissements fabuleux quand on parle le même langage de l’amour. Question 3 : Dans votre dernier recueil intitulé Sourire, baiser, larme, paru en France et que j’avais eu l’honneur de commenter poème par poème, tous vos poèmes tournent autour d’un thème constant :« une rupture amoureuse unilatérale de la part d’une bien-aimée cruelle et hautaine ».Pensez-vous qu’une femme qui délaisse définitivement l’homme qu’elle aimait mérite vraiment qu’on lui consacre un livre ? Gaëtan Parisi :D’abord je voudrais, cher professeur, vous remercier pour l’intérêt que vous avez toujours porté à nos écrits. Vous avez été pour la plupart d’entre-nous un véritable moteur qui nous a permis d’apprendre et d’évoluer dans l’écriture. Et mon écriture a évolué. Elle a mûri. Elle s’est spécialisée. Thématique phare de la littérature et des arts, qu’il s’agisse de Shakespeare, de l’opéra Carmen de Bizet ou encore plus récemment d’Amélie Nothomb dans Le Voyage d’hiver, l’amour non réciproque est une expérience à laquelle de nombreuses personnes sont confrontées au cours de leur vie. Et ce thème a été ma ligne directrice sans doute parce que j’ai probablement fais partie de cet échantillon de personnes. Bien sûr mes textes sont loin de rivaliser avec les chefs-d’œuvre que je viens de citer mais le thème de la rupture amoureuse unilatérale que vous relevez y est apparenté et prouve encore une fois l’intérêt qu’il suscite dans la littérature. Cet abandon, la rupture amoureuse unilatérale, provoque la frustration, un spleen certain. Mais ce qui est extraordinaire, c’est que celui qui reste, garde malgré tout une forme d’espoir en l’amour. Cela peut paraître illusoire mais cet espoir presque impossible est essentiel pour la survie. Cet espoir empêche la personne blessée, d’oublier l’amour perdu. Cet espoir est comme l’ombre du sentiment amoureux écorché. Il permet d’aller de l’avant et de ne pas mourir. Cela ne sert à rien d’écrire de la fiction si on ne s’implique pas un peu soi-même dans ce que l’on écrit. On dit souvent qu’un parfum est un secret bien gardé, une emprunte personnelle qu’on laisse sur les gens ou qu’une personne laisse sur vous. Ce recueil de poésies est un parfum indélébile qui aura marqué mon existence. La femme garde pour moi un caractère énigmatique, elle est la muse la plus féconde pour le poète. Dans une rupture amoureuse ce n’est pas la femme qui est cruelle en délaissant unilatéralement l’homme ; mais c’est le sentiment d’injustice qui est d’une cruauté sans égal. Elle est ma muse ; femme de l’être, fière de lettres. Question 4 /Dans les œuvres poétiques des célèbres poètes amoureux, l’image de la bien-aimée est toujours claire et nette, tandis que dans vos poèmes le discours ne laisse filtrer aucune information sur l’identité de votre bien-aimée et surtout sur les qualités physiques ou morales qui justifieraient votre folle passion pour elle .S’agissait-il d’une relation secrète ou intimement personnelle ? Gaëtan Parisi :Si ce mystère est une réalité vous comprendrez, cher Maître, que je ne vais pas m’atteler à le divulguer. Je n’envisage pas l’amour autrement qu’une passion folle. J’aime beaucoup le modèle romantique de la passion, Roméo et Juliette restera pour moi un chef d’œuvre inégalé. Ce que j’aime vivre dans l’amour, c’est la version folle. Folle parce qu’elle est excessive, sans limites. En effet, la passion dépasse toujours les amants eux-mêmes et elle ne tient pas compte des réalités contingentes. C’est une rencontre extrême et excessive entre deux personnes. Extrême, parce qu’elle met à mal les limites normales et habituelles de la vie. Excessive, car elle va induire quelque chose d’intense tant au niveau charnel qu’au niveau psychique. Cette passion vécue à travers mes poèmes n’a pas de visage, c’est pourquoi la bien-aimée n’a pas d’identité précise. La passion est du domaine des âmes et non de l’apparence charnelle. La fin d’une passion, comme toute rupture amoureuse, nous confronte à la souffrance et à la blessure éternelle. D’une certaine manière l’autre, que je mettrai toujours au féminin, vit en nous et l’on n’a plus ce besoin obsédant de la voir, de la toucher. Ce qui change notre propre rapport à la vie. Alors oui cela peut s’apparenter à une relation secrète et je dirai en plus intimement personnelle. Question 5 :L’image que votre poésie amoureuse donne du locuteur (celui qui parle dans le texte c’est-à-dire vous) reflète une précarité psychologique extrême (une âme meurtrie et violemment ébranlée).Cette précarité se limite-t-elle à cette expérience sentimentale ou constitue-elle l’un des traits constants de votre personnalité ? Gaëtan Parisi :J’espère que ce n’est pas un trait constant de ma personnalité et que je ne suis pas perçu de la sorte. Si le poète met un peu de sa personnalité dans ses poèmes, ceux-ci ne sont pas nécessairement des tranches de vie exposées au lecteur. Par contre, chaque poème est une réflexion, un message à décoder, une image à éclairer. Le poète est un personnage de théâtre, il se met en scène et met en scène des histoires. Le poète est un menteur, un falsificateur qui déforme la réalité pour la rendre plus prenante, plus poignante, plus “peignante”. Comme un peintre, il travaille dans un registre très personnel, et suivant un thème particulier. Encore une fois, je répète qu’il y a certainement une petite part individuelle dans les thèmes abordés dans mes poèmes, mais la majorité est une pure fiction encadrée dans un thème exploité sans doute à outrance. Question 6 :L’amour unilatéral a toujours existé mais rarement ses effets sont aussi ébranlants, car une bien-aimée quelles que soient ses qualités n’est pas , en fin de compte, une déesse et peut être remplacée par tant d’autres femmes .Pour cette raison , certains ont appelé ce genre d’amour « le semi-amour ».En êtes-vous d’accord ? Et quelle est votre définition de l’amour Gaëtan Parisi :N’ayons pas peur des mots, l’amour est une école de vie. Dans une relation amoureuse, nous sommes à la fois le créateur et le chercheur d’un accord, d’une plénitude avec l’inaccessible si proche de l’autre. A ne pas confondre le sentiment d’amour, sur lequel nous n’avons aucun pouvoir, le vrai, le seul ,l’unique sentiment irréversible et la relation amoureuse, qui se construit à chaque instant, nourrie de partages, d’une reconnaissance mutuelle et d’apprivoisements successifs entre les deux êtres en devenir, une amitié avec un degré supérieur dans la relation, un chemin en construction. Le grand amour, je le sens comme un état d’effervescence, un mouvement d’émerveillement qui me porte vers l’autre, une musique qui transcende l’instant présent m’invitant à vivre mon existence à plein-temps. Vivre l’amour c’est comme la rencontre de deux notes de musique qui vont s’accorder, s’harmoniser, se relier pour produire un son unique, vibratoire, élançant. Alors si on a vécu tout cela, comment prétendre et dire : je ne t’aime plus ! L’amour est éternel, il se donne, il ne se reprend plus ! L’amour c’est un tiroir dans le cœur qui se referme, mais il ne disparaît jamais. On peut rouvrir le tiroir à tout moment ou le laisser ouvert tout le temps même s’il n’est alimenté que par un « semi-amour ». Même s’il n’y a plus de partage, l’amour peut exister encore. Souvent l’amour donné n’est pas équitable. Jamais ou rarement il est de la même intensité chez chacun dans un couple. Dire je t’aime, c’est très important car on ne peut plus revenir sur sa parole, c’est ancré en soi ; le nier c’est un mensonge de tous les jours. Question 7 :Depuis un bon bout de temps, je n’ai pas lu les poèmes que vous partagez sur votre mur ? Continuez-vous à écrire sur ce thème ou vous l’avez dépassé ? Gaëtan Parisi :Depuis bientôt deux ans, je n’écris plus rien de neuf et de consistant en poésie. Par contre, j’écris des textes à consonance plus philosophique ou des faits de vie journaliers ou exceptionnels. Pourquoi ai-je dépassé cette émotion qui m’a permis de publier trois recueils de poésies ? En toute honnêteté, je ne sais pas. L’écriture est un ressenti, un besoin. J’ai beaucoup écrit, j’ai crié, je me suis asphyxié, épuisé ! Je ressens dans mon corps la morsure d’un effort violent. Une oppression de la poitrine, une paralysie de la jambe gauche, une crispation de tout mon être. Les stigmates de l’écriture, d’une insupportable passion. Cette souffrance, je la vis depuis toujours comme un mal nécessaire qui m’accompagnera jusqu’au bout de mon existence. Il y a trop de tumulte en moi pour que je puisse canaliser ces blessures. Une histoire faite de culpabilité inconsciente et de traumatismes qui remontent à cette fameuse journée marquée de son sms. Et puis, je me déteste et je ne m’écoute plus. L’écriture est l’écoute de soi. Quand on s’éprouve coupable, coupable de ne pas avoir réussi à convaincre, comment s’accorderait-on le droit de prendre la parole ? Je suis dans l’impossibilité de parler de moi, de parler de mes sentiments, de réfléchir à haute voix. Comme quelque chose d’infiniment fragile et de trop personnel pour être déballé sur la place publique. Légitime pudeur n’est-ce pas ? Question 8 :Vous appartenez à notre sélection poétique depuis près de dix ans et vous avez été traduit en arabe mais vous avez lu aussi plusieurs poèmes écrits par des poètes arabes et traduits en français. Avez-vous trouvé quelque chose de nouveau dans ces poèmes écrits initialement dans une autre langue ? Gaëtan Parisi :Comment définir cette joie immense d’être traduit en langue arabe, la langue la plus riche au monde. Malheureusement, je ne connais pas l’arabe. J’ai tenté une approche pédagogique par l’étude de cette langue extraordinaire sans jamais parvenir à la dominer. Je confesse aussi, alors que peu de personne dans mon entourage le savent, avoir étudié le coran et les pratiques religieuses. Cela m’a énormément rapproché de mes amis musulmans. Plus que l’écriture, sa calligraphie et son esthétique, j’aime la sonorité du langage. Dans mes archives, je garde comme un trésor inestimable des textes enregistrés lus en arabe par une amie ; ils sont d’une résonance exceptionnelle ! L’armature gutturale de la langue arabe représente un véritable challenge d’expression orale, mais sa musicalité est un poème en soi. Question 9 :Le Facebook a certainement des côtés positifs mais plusieurs poètes y voient aussi plusieurs défauts .Quel est votre avis là -dessus ? Gaëtan Parisi :Nous sommes tous en quête d’expériences authentiques. Aujourd’hui pour les vivre, nous nous auto-observons afin d’en faire le récit sur Facebook. Nous fantasmons la vie réelle comme la seule scène de rencontres vraies. Grâce aux groupes sur Facebook que vous avez constitués, cher professeur, nous avons la chance de pouvoir partager d’innombrables textes, poésies et évènements divers. Sans ces groupes « personnellement » je n’aurais jamais écrit. J’ai appris à m’intéresser à la poésie grâce aux lectures que j’ai faites sur Facebook et aux contacts très enrichissants avec des poètes confirmés de toutes les parties du globe terrestre. Ce réseau social est une aubaine pour nous tous car il facilite le partage et la communication. Bien sûr il y aurait des critiques à faire, notamment l’impossibilité de contrôler le plagiât et l’usurpation de matière. Mais bon chacun s’investit et se protège comme il peut. Pour toutes vos actions sur Facebook et pour tout l’intérêt que vous avez porté à nos écrits cher professeur Mohamed Salah Ben Amor, je vous en remercie du fond du cœur. Question 10 :Quels sont vos projets proches et lointains ? Gaëtan Parisi :Aujourd’hui, je prends conscience que les années passent ! Elles passent même trop vite ! J’ai donc décidé de donner plus de priorité à ma famille, à mes enfants ! J’ai des projets de voyages. Concernant la poésie, je vais me décider à trouver un éditeur pour mon quatrième recueil qui est pourtant terminé depuis près de deux ans déjà ! Et finalement, j’aimerais terminer le roman demandé par les éditions “Géorama” de Brest en France pour une parution dans la collection déjà bien fournie «Témoignages» dirigée par Hervé Guyader. Fait à Bruxelles le 15-10-2018 Gaëtan PARISI 2018-10-16 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet