La nuit poétique
Le temps de tous les dangers,
Est tombé sur nous
Tel un prédateur nocturne
Aux grands yeux lumineux
Et au regard alerte.
La poussière dorée de la lune
Se faufila à travers les mailles
Bleues et denses de la moustiquaire.
La nuit de tous les dangers
Quand un air plaintif du piètre chanteur
De cette opérette à l’air libre
Pourrait s’avérer plus mortelle
Que le rugissement du roi
A la crinière noire.
Tu fermes les yeux
Pour ne plus voir ces filets du pécheur.
Dorénavant tu rentres
Dans un royaume où les morts
Côtoient les vivants,
Où on ne reconnaît plus les lieux
Pourtant si familiers,
Où on n’entend plus ses propres cris
Tellement la gorge devient serrée…
Et quand enfin on quitte cette contrée,
Tout en sueur
Avec une multitude d’images
Ancrées dans le cœur,
Entre les mouvements lents et paresseux
De la moustiquaire
Le regard intimidé du soleil
Plonge dans notre intimité
A travers de volets desserrés
En vérifiant si les morts
N’ont pas emporté les vivants,
Et la voix rouillée d’un rapace diurne
S’élève au ciel
Encore plus forte et plus effrayante
Que la tienne pendant cette nuit africaine…
Ce poème comporte une face démesurément étalée, probablement pour retenir l’attention du lecteur et un revers au sein duquel a été placé le noyau sémantique du texte tel un secret bien gardé .Dans la face, l’auteure a affiché une dualité vaste puisqu’elle s’étend sur tout le poème : l’intérieur d’une chambre de laquelle la locutrice émet son discours (la poussière dorée de la lune se faufila à travers les mailles bleues et denses de la moustiquaire – à travers de volets desserrés ) et où elle jouit normalement de la sécurité et de la quiétude /et/ un extérieur typiquement africain en pleine nuit (cette nuit africaine ) suscitant la peur (le temps de tous les dangers – est tombé sur nous tel un prédateur nocturne – le rugissement du roi à la crinière noire) et qui va en graduant jusqu’au lever du jour ( le regard intimidé du soleil plonge dans notre intimité à travers de volets desserrés) mais tout en conservant son caractère effrayant (la voix rouillée d’un rapace diurne s’élève au ciel encore plus forte et plus effrayante que la tienne).Quant au revers, il semble recéler une relation amoureuse secrète à laquelle renvoie le syntagme possessif “notre intimité” (Le regard intimidé du soleil plonge dans notre intimité à travers de volets desserrés) et l’émission du discours à la deuxième personne du singulier (la voix rouillée d’un rapace diurne s’élève au ciel encore plus forte et plus effrayante que la tienne pendant cette nuit africaine ).Néanmoins, l’expression “plus effrayante que la tienne” en parlant de l’amoureux laisse penser que cette relation est loin de constituer un refuge pour la locutrice que nous avons vue très effrayée par ce qui se passe à l’extérieur de la chambre .S’agit-il donc d’un cupidon-amoureux c.à.d. d’un amour phobique ou plus clairement d’une passion mélangée de peur ? Et si cela est vrai quelle est la cause de cette peur ? Le caractère agressif du partenaire ?La crainte de le perdre ? Ou au contraire un masochisme latent ? Nous ne le saurons probablement qu’à travers d’autres textes de cette auteure .
Stylistiquement , cette façon de doter le poème d’une face et d’un revers, en plus des significations symboliques très riches des éléments constitutifs principaux du paysage ( la nuit : l’inconscient humain – la forêt : la femme et ses mystères – la chambre : la matrice de la mère ) sont autant d’ingrédients pour contribuer à créer une ambiance onirique et surtout, comme l’auteure l’annonce dans le titre, poétique .