Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :3 – Les poèmes et les récits de de Patricia Laranco :3-3 : Le jeune soldat

Patricia Laranco

 

La nuit couleur de boue tombe sur un labyrinthe de murs. Des odeurs molles, sinueuses, insidieuses de pourriture s’échappent. Un nez pointe. C’est celui d’un jeune soldat accroupi. Derrière lui, les pavés disjoints de la cour intérieure claudiquent. Les pavés bossus ont l’air aussi mobiles que des rats gris, ils ressemblent, c’est bien vrai, à des rats au pelage gluant, humide. Le crépuscule continue de se faufiler le long des murs, de caresser de mauve leurs parois tout en gagnant du terrain. Le jeune soldat perdu, bloqué, n’ose pas sortir de sa cachette. Cachette précaire au demeurant : un pan de mur, aux pierres éboulées. Est-il seul ? Il ne peut le savoir. Ce qu’il sait, en revanche, à coup sûr, c’est que l’ombre, le silence l’enveloppent. Certes, le silence est pesant. Sinistrement pesant et vide. Il plane. De façon impressionnante. Comme l’ample vol du vautour. Il parle d’affliction, de mort. De désertion pleine et totale. A en avoir la chair de poule. Et s’il était seul souffle humain, à des kilomètres à la ronde ? Pensant à cela, le soldat à la chair encore tendre ferme les yeux : ses longs cils recourbés, ses cils d’enfant, se referment sur ses orbites creuses. Un filet de froid s’insinue, porté par le flux du crépuscule. Il serre les dents et il se sent complètement désorienté. Bientôt, voilà qu’il ne serre même plus les dents : ces dernières s’entrechoquent… A peine s’il entend leur bruit incontrôlé de castagnettes. Il se revoit petit garçon dans la lumière des blés sereins.

 

Essayons de déchiffrer ce que ce texte dit sans tenir compte de ce que son auteure a voulu dire au moment de l’écriture .D’abord, la désertion est, assurément,  un acte volontaire  qui ne peut s’accomplir qu’à un âge où  la conscience s’ est  suffisamment développée .Pour cela,  l’image de ce  soldat  qui s’est trouvé soudain  seul  et désorienté dans un  environnement tout noir  suscitant la peur et l’inquiétude,  peut bien dénoter un retrait délibéré de la vie sociale pour se libérer des pressions  qui se font peser au sein de la société sur les individus dont les personnalités sont fragiles .Et c’est ce qui expliquerait le retour inconscient, à la fin du texte, au paradis perdu qui est la matrice de la mère . Cependant la cohérence apparente de cette  lecture  n’exclut pas que  parmi les sensations négatives éprouvées par le soldat  dans de ce milieu obscur , certaines  pourraient être  des souvenirs  de la panique angoissante que ressent le nouveau-né au moment de la sortie du  canal utérin vers le monde aérien .

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