Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 2 – Les poèmes d’Alain Minod : 2-13 :Gravir sans rien ravir 5 mars 2018 Alain Minod En passant ma fête sur le sommet des rois J’en perdrai la tête et toutes mes lois Et si – déniant toutes pensées A la jeunesse – J’y introduisais la mienne pour droit d’aînesse Tous ces vains châteaux plomberaient ma poésie Pour la faire ramper dans un monde Sans merci O tendre et sauvage jeunesse ! Emprisonnée ? Il n’y a pas de léger poids de vos années Qui ne puisse soulever de grandes Montagnes Et fructifier le savoir en rase campagne Mais le temps seulement d’ouvrir toutes les vannes Vous ferez sauter les eaux sur des sommets d’âme En cassant toutes les digues Qui vous encombrent – Nettoyant les plaines moroses Où tout est sombre Temps épanouis où renaîtra la vertu Et cette beauté qui nous est encore due Plus d’échelle sur vos épaules d’où gravir Toutes les étapes d’une vie et ravir Vos jardins de bohème Plains de fleurs Qu’on aime Pour vous – aimable jeunesse – Tous ces jours se sèment Et chacun de vos matins empourpre le monde Vous passez outre les infernales rondes Où les doctes vampires vous lancent Des fêtes Pour vider sang et pensées De vos têtes Avec les rois c’est l’ignorance qui les tient En imitant tous les partages et tous les liens Comme des singes à qui l’on donne La pâture Pour qu’ils se pâment devant l’humaine nature De ces puissants qui sont sans-cesse sanctifiés Par les Thénardiers qui acceptent De s’y fier Jeunesse vous ouvrez la boîte de Pandore Vous captez ces sommets où sonne le bel or Votre aurore vient quand Misère Ne l’attend C’est une levée qui sommera tous les temps Jusqu’à ce grand hasard qui fait l’éternité De vos rencontres d’où votre art Est Liberté Etranger pauvre qui boit votre lait d’accueil Il sait votre hauteur dans vos pas et sur vos seuils Ici-même où mûrissent vos fruits du savoir Avec tant et tant de hautes causes A valoir L’auteur de ce poème n’écrit pas seulement de la poésie mais il appartient à cette catégorie de poètes qui possèdent une conception bien déterminée de leur propre écriture. Néanmoins, cette catégorie doit être convaincue que nul dans le monde n’est capable d’exprimer exactement ce qu’il veut dire, car la langue , par le biais de ses structures diverses très complexes , soumet le locuteur ou l’auteur au moment où il l’utilise à de hautes pressions qui le contraignent à laisser échapper de petits sens qui pourraient changer totalement le sens général visé .Ce qui fait de l’auteur d’un texte un simple lecteur de ce texte et de sa lecture après l’avoir écrit une interprétation comme toute autre .Ceci dit , et en nous tenant à ce que dit le texte et non à ce que le poète a voulu dire en l’écrivant , nous pouvons le placer aisément dans le courant avant-gardiste français de la fin des années soixante sous la férule de Philippe Sollers au sein du groupe “Tel quel” . C’était justement ce groupe qui avait créé le terme d'”écriture”, voulant dire l’ouverture du texte littéraire sur tous les genres et les moyens d’expression artistique et que notre auteur met ici en exergue, en le plaçant dans un surtitre constant ( écriture et poésie ). L’influence de ce même groupe apparait aussi dans l’épuration à fond de l’expression verbale des significations dénotatives au profit des sens seconds et à laquelle s’est adonné l’auteur de ce poème où les termes de la dualité charnière sur laquelle il l’a construit : rois/ jeunesse se présentent comme deux centres interférés de connotations agglomérées .Le premier, considéré par lui comme la source de tous les maux, a été assimilé à une boite de Pandore à laquelle se rattache une multitude de petits sens négatifs éparpillés ici et là dans le texte (vains châteaux plomberaient ma poésie pour la faire ramper dans un monde sans merci – les vannes – les digues qui vous encombrent – les plaines moroses où tout est sombre…etc…).Quant au second, la jeunesse, il nous fait penser au mouvement de mai 1968 en France duquel se réclamait l’Avant-garde citée précédemment et qui était un véritable soulèvement culturel, social et politique mené par la jeunesse estudiantine contre le conformisme et le pouvoir capitaliste et impérialiste et qui avait gagné le monde entier .Acquis franchement aux idéaux prônés par cette jeunesse révolutionnaire ( tant et tant de hautes causes à valoir) et plaçant en elle tous ses espoirs , le poète prédit pour l’humanité un avenir radieux et plein de promesses (fructifier le savoir en rase campagne – sauter les eaux sur des sommets d’âme- nettoyant les plaines moroses- temps épanouis où renaîtra la vertu et cette beauté qui nous est encore due…etc…). Mais la mondialisation, après avoir fait main basse, au niveau planétaire, sur tout ce qui est économique , social, médiatique et militaire le permettra-t-elle ? Espérons avec le poète que la jeunesse de demain réussira là où la génération actuelle a lamentablement échoué ! 2018-03-05 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet