Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 2-Les poèmes d’Alain Minod : 2-4 :L’ennui et son fruit

Alain Minod

 

Forer l’ennui – le transpercer –
Le tout en lançant
Son cri
Dans des langues épuisées
Par leurs pays –
En usant
De modulations qui
Telles une perceuse –
Enfoncent des clous
Dans la réalité
Aux mornes
Murs

En comptant le silence
Qui les habite –
Enfourcher
Le cheval de l’oubli
Et balayer les mots-forces
Qui créeraient des
Dilemmes ou des
Malentendus sur
Le chemin des
Respirations

Puis … Casser les murs et
Souffler au cœur de sa
Demeure provisoire …
Demeure du poème
Sous l’auvent
Pour que soit
Ouverte
Plein champ :
La passerelle aux châteaux
De la nouveauté …

C’est la jeunesse qui s’y aventure
En laissant patauger
Les souvenirs de
Ses vies
Dans les douves

C’est du poème que l’on rentre
Dans ce focus du nouveau
En se brûlant de
Fantaisie

Ainsi tiré – le macramé des passions –
Vient habiller plein soir
Jusqu’à la veille et …
Ses nœuds s’animent –
Réchauffant comme
Braises la froide
Distance

On revient doucement aux laves
Où vient rouler l’ennui
Jusqu’à ce qu’il
S’évanouisse
Au creux
Vidé de
Son fruit

On se souvient alors de son âge
Et l’on mange doucement
Ce fruit …

 

Ce poème formellement hermétique pour le profane se lit, en réalité, facilement dès qu’on abandonne l’idée de la lecture syntagmatique ( mot après mot et phrase après phrase) pour dénicher les mots clés, s’y concentrer et les interroger, tout en les mettant en relation les uns avec les autres. En usant de cette méthode, nous découvrons le noyau sémantique de ce texte qui est composé ici d’une dualité saillante :l’ennui /la nouveauté , une dualité, à vrai dire, apparemment incomplète , étant donné que les deux mots qui la composent ne sont pas contraires. Et pour vous en assurer, il suffit de voir la liste des antonymes du mot « ennui » (activité – agrément – allégresse -amusement – bonheur – désennui – distraction – divertissement – enivrement – euphorie – facilité – gaieté joie – liesse- occupation- plaisir – récréation – satisfaction ) dont aucun n’est un vrai synonyme de « nouveauté », bien qu’ils puissent tous dénoter l’un de ses effets , vu que la nouveauté procure, généralement chez les épris du changement, le plaisir , l’allégresse , la joie et le bonheur. Dès lors, nous comprenons que ce poème est un texte à thèse et que cette thèse que son auteur soutient et à laquelle n’adhèrent pas, bien entendu, les classiques est que l’innovation est la seule source de plaisir en poésie, car la répétition des formes désuètes et figées finit toujours par faire tomber le discours dans la monotonie et la langueur .Ceci est grosso modo le message véhiculé à travers ce poème. Quant à son niveau stylistique, il se distingue, comme la plupart de tous ceux qui l’ont précédé de ce même auteur, par la richesse de ses trouvailles expressives et ses images inédites comme le montrent bien ces extraits : ( En usant de modulations qui telles une perceuse – Enfoncent des clous dans la réalité aux mornes murs – enfourcher le cheval de l’oubli et balayer les mots-forces qui créeraient des dilemmes ou des malentendus sur le chemin des respirations -ainsi tiré – le macramé des passions – vient habiller plein soir jusqu’à la veille et … ses nœuds s’animent – réchauffant comme braises la froide distance ).Une autre remarque non moins importante à noter ici est que l’innovation poétique, dont l’auteur se réclame , n’est pas un simple choix individuel mais une mission que doit se donner toute une génération , celle de la jeunesse poétique .Ce qui veut dire que la question de l’innovation est approchée ici dans le cadre du conflit des générations littéraires.

 

 

 

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