Portraits de femmes (1) et (2) par : Fatima Maaouia-poétesse tuniso-algérienne 22 juin 2017 Fatima Maaouia (1) Néjia… Le téléphone sonne, Une voix atone.. Qui ça peut être? Nejia? Les bras m’en tombent Nejia, cette voix d’outre-tombe? Impossible! Mon cœur pris pour cible.. Néjia? C’est bien elle, Néjia, Mon ancienne femme de ménage Princesse des neiges et des étés brûlants L’ appareil brûle mes doigts… Sans voix… Je ne reconnais pas la voix Que le carnage De la maladie a broyé Mon cœur se met à aboyer. Je la croyait morte La fleur du Nord Ouest Horizon Qui a frappé à la porte De ma maison Qu’elle remplissait d’est en ouest Et du nord au sud, de propreté proverbiale, De proverbes et de chants populaires Véritable radio arabe libre et sans frontières… Aux arbres, à la météo, la circoncision des petits, le prix du pain, de l’huile, De la poterie, de l’or et du henné, A la vie de son quartier, échos du métro, les vicieux… Elle prenait deux bus… C’est dire tous les bleus et préjudices Qu’elle se coltinait Dans la peau Et quelle se devait de me raconter Avec ses mots…. De la télé, ou du trottoir Quelles histoires! Quelle musique! Elle y mêlait même la politique ! Robes Fleuries et longues jupes aux couleurs du globe, Tête et bras vaillants nus Pur jus, Elle n’aimait pas les barbus Et leur barbecue. Nous avons partagé le pain Et le sel. Elle aime le jardin et mon chien Elle connaît mes enfants, Le nom de mon père et de ma mère, Sait même Que j’écris des poèmes. Nulle autre qu’elle Ne mettait autant de zèle A faire briller le vieux lit de cuivre … Et à casser la vaisselle. Comment ai-je pu toutes ces années Vivre sans elle Et sans la tannée Administrée de main de fer A la poussière Et aux toiles d’araignée ? Quand elle partait, avait de la lumière Dans l’air. Toujours zen Elle rêvait de semer le blé Et de faire du pain à l’ancienne. Oh, rassurez- vous ! Elle avait bien des défauts Et gros… Comme tout un chacun d’entre nous, D’abord la guerre civile A domicile… Elle avait une dent En aval et en à amont Contre le jardinier Qu’elle considérait comme poussière En guerre ouverte Et permanente contre lui. Elle lui disputait le terrain Et rabattait le caquet à ses mains Pelle, bêche, râteau … Et mots Et pour rien… Elle disait qu’il me menait en bateau Le jardin à vau l’eau Et me suppliait de le renvoyer Si une plante n’allait pas bien. C’est qu’elle avait la main verte Nejia. A son contact La moindre brindille, Même bouffée de vert de gris Se remplissait de fleurs et de fruits… C’est dire Que pour lui faire plaisir, On était presque prêts A le piquer comme moustique Et rayer d’un trait Le loustic Dont la seule vue de son physique Lui faisait retrousser le nez De défiance et de dépit Puis Les flots d’eau à gogo, La javel partout. Quitte à ce qu’elle lui ronge la peau Et, tant, et tant de trouvailles géniales Dont celle Des heures durant s’échinant A essayer d’enfiler du fil à coudre dans l’orifice Absent D’une épingle à nourrice En grommelant et pestant Contre les aiguilles Made en Chine… Elle n’était pas bête Néjia…sauf qu’elle refusait de plier l’échine , De se soumettre au diktat des lunettes Et que ça coûtait les yeux de la tête Et cette autre fois, Qui a avalé ce maudit suppo Au lieu de le mettre là… où il faut? Quel massacre! Quel effroi ! Même que les murs et le sol S’en souviennent encore, je crois De nos éclats de rires, de notre peur Et de nos pleurs Tant les rires étaient forts… Elle n’était pas bête Néjia…sauf qu’elle n’a jamais été à l’école C’est bête … Mine de rien Tout un symbole ! Son copain de docteur lui a fait une colle .. Y avait pas de mal A ce que l’animal Lui explique un brin Au lieu de la lâcher en pleine nature En pâture Avec son pâté de confiture au cyanure. Néjia, sept enfants Maintenant grands Dont trois mariés Comment t’oublier? Aujourd’hui, Fleur de vie Née pour être abîmée par la vie A l’heure où ton homme S’abandonne Au bras des cafés et bars Que tes petits Manifestent pour Qatar, S’en vont faire la guerre Pour d’autres pays Dont on a foutu la paix par terre Ou se jettent à la mer Tu veux travailler? Depuis le temps Je croyais que ton impôt à la vie sans printemps… Était terminé …depuis longtemps (2) Amélie Elle avait passé toute sa vie Au service des livres, Amélie. Toute sa vie En cette bibliothèque, avenue de Paris Elle en vu, avalé et bu des livres, Amélie Des épais, des pavés, Controversés ou dépravés Minces feuillets interdits, petits ou gros Sages, ou fous Certains à jamais à la page D’autres, pure poésie Et d’autres Frappés d’une étrange maladie… Personne jamais ne les demandait. Pour cette raison Amélie les aimait. Profitant d’un creux D’une pause café, elle allait à eux Voir un peu ce qui clochait en eux… Elle a passé toute sa vie Au service des livres, Amélie Mais ceux-là, elle les faisait vivre Amélie Au fil des rencontres, en cette bibliothèque, avenue de Paris, Elle avait des nœuds à la gorge et le cœur qui battait, Amélie Lorsque elle découvrait le tumulte, l’or caché La passion, la rage délire, les feux inattendus qui échappaient des pages Des livres moisis Aux jaquettes en miettes et robes tachées Reliés entre eux par le déni et l’oubli. Elle ne faisait que lire et relire Ces trésors enfouis Tant leur évidente beauté crevait les yeux Transperçait le cœur, nourrissait l’âme Éclairait l’esprit… Prenant soin de toujours ôter La poussière des pieds, fatigués de faire le gué Mais heureux d’avoir enfin porté A bon port leur cargaison flammes Et or Alors elle les berçait. C’était sa manière à elle de prier, Amélie qui aurait pu être Numidie ou Ali Et tous les livres à la mode devenaient gris. Elle avait alors Une pensée pour l’auteur Qui méritait tous les honneurs Et que personne ne connaissait encore Quand elle ressortait du temple de l’oubli Avec des acariens dans les cheveux Son café avait refroidi Mais Amélie N’en n’avait cure. Elle avait dans les yeux des lueurs d’or Et des papillons azur. En renfermant la lourde porte En cette bibliothèque avenue de Paris Elle se sentait plus forte… Amélie qui aurait pu être Numidie, Ali ou Nathalie. Après son départ, les livres, aube niée Sous les corps pliés Que jamais personne ne demandait, priaient: “Pourvu qu’elle vienne encore aujourd’hui, Amélie Qui aurait pu être Numidie, Ali ou Nathalie Faire le mur , Traverser le corridor de la mort Où l’industrie du livre nous a mis Pour prendre dans ses bras les murmures Et les cris de nos vies.” Et Amélie Revenait toujours Le cœur des livres oubliés devenait alors moins lourds En cette bibliothèque, avenue de Paris Close de hauts murs Où à l’intérieur Chaque livre était fleur Et défendait ses murmures Et sa cause La Rose C’était Amélie Qui aurait pu être Numidie ou Ali. (à suivre) 2017-06-22 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet