Le grand pardon (Extrait 1) par : Abdellatif Bhiri –Safi – Maroc

Abdellatif Bhiri

 

J’aurais tant aimé écrire une lettre à mon père de son vivant ! Mais, puisqu’il n’est plus là, c’est devenu plus simple et plus facile de m’exprimer !

Cher Père,

Je sais maintenant que tu n’as jamais été là pour moi et ce depuis ma naissance. Mes semblables souffraient de l’absence de leurs pères dans leur tendre enfance, mais moi, je ne te voyais même pas. Je me suis fait à l’idée que tu n’as jamais existé. De plus, enfant que j’étais, je me demandais si tu étais vraiment nécessaire à mon existence ! La mère vénérable emplissait ce vide tout en trimant pour cinq mioches en bas âge. A l’école primaire, lorsqu’on demandait de remplir la case du tuteur, je mettais toujours « Père décédé », c’était le moindre mal puisque ceci me permettait de profiter de la cantine scolaire ! Au collège, c’aurait pu durer si ce n’étaient des rumeurs faisant croire que tu étais toujours vivant et bon portant. Je me refusais cette cruciale réalité qui pourrait se présenter devant moi, un jour ou l’autre. Je me résignais à croire que tu étais bien mort.

La vie se déroulait dans sa décrépitude implacable jusqu’au jour où un matin débarqua chez nous un beau jeune garçon, aîné de tous mes frères et sœurs. Il se présenta :

« Je suis votre frère, c’est notre père qui m’envoie vous voir »

Étant le cadet de la famille, je n’avais pas réalisé l’impact de cette phrase à coup. Il m’avait fallu plusieurs nuits d’insomnie et de réflexion pour réaliser que mon père était réellement encore en vie…

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