A Laredo, Elle me trompait avec son mari ! par : Najib Bendaoud – écrivain Marocain 29 septembre 2016 Najib Bendaoud A Laredo, Elle me trompait avec son mari ! (fin) – « Adel, une belle surprise ! » cria Ana. – « Ah bon ! Et laquelle ?» s’exclama Adel. – « Mon mari m’a envoyé de l’argent pour que je loue un chalet à Laredo. Il va venir pour le mois d’Aout ! » – « Eh bien ! Tu appelles ça une belle surprise ! » Murmura Adel pris par la rage de la jalousie. – « Attends Adel, ne t’emballe pas comme ça ! ». – « Non, non dis moi que c’est fini entre nous et que tu vas revenir à ton mari » contesta Adel. – « Ce n’est pas ça Adel. Moi je t’aime et puis mon mari est mon mari après tout ». Rétorqua Ana. – « Et bien si c’est comme ça, habille toi maintenant et va rejoindre ton mari. Oh mon dieu combien je suis naïf, je te croyais à moi. Mon lit était toujours farouchement généreux avec toi, ma musique aussi et même mon chien t’aimait à la folie » riposta violement Adel. – « Mais t’es bête ou quoi, écoute d’abord ma surprise » – « comment ça bête !? Tu veux me dire que je suis un âne. Ah non ! Là je n’accepte pas les insultes, chez nous quand on qualifie quelqu’un de bête, ça devient sérieux… » Cria Adel – « Mais non Adel, « t’es bête est une expression mignonne et sympathique chez nous. » supplia Ana. – « Bon, tu vas te barrer d’ici ou non ? C’est fini. Et en plus, je n’aime pas une femme qui me trompe avec son mari » – « Mais attend Adel, je ne t’ai pas encore parlé de la belle surprise ! Quand même, laisse-moi parler» hurla Ana. – « Bon ok ! Et quelle est cette belle surprise ? » Ajouta Adel – « Ah là mon amour tu deviens raisonnable et je t’aime bien comme ça, sans que ton sang arabe inonde tes propos » – « S’il te plait pas d’arabe maintenant car on est dans une situation de vie ou de mort » répondit Adel d’un air sérieux. – « Je t’adore mon « sale arabe », je suis amoureuse de ton sang arabe » plaisanta Ana. – « Pas seulement bête, mais aussi sale et par dessus tout un arabe! Je vais prendre une douche et pousse toi merde, je cherche mon slip, ah ! Il est sous ton dos, bouge un peu » – « Encore, tu cherches ta ceinture de sécurité, hhhhh, t’as peur que les murs de la maison te violent ! » rigola Ana – « Je te comprends maintenant ! Tu veux me voir nu, me balader dans la maison ! » – « Je t’aime comme ça mon arabe timide et discret ». – « S’il te plait pour quoi tu as caché mon slip ? Donne le moi » supplia Adel – « Non, je veux que tu restes au lit » – « ok, j’ai compris » dit Adel. Et hop un autre voyage au septième ciel ! La chambre était truffée d’amour, de soupirs et de joie. Adel et Ana ont oublié la belle surprise. Ils ne parlent plus. Ils ne se disputent plus. Leurs corps s’entrelaçaient musicalement. Plus de jalousie, plus de mari, plus de Laredo. Ils n’ont plus faim. Ils ont oublié aussi qu’ils venaient de deux mondes différents. L’amour abolie les frontières. A un certain moment Adel s’est mis debout et couru vers sur son bureau. – « Chère Ana, je t’offre ces mots. Tu veux que je te les chante ? » – « Oui bien sûr mon bel arabe » disait Ana. – « Alors, écoute moi ça » avouait Adel » – « Tu es mon rêve et je tiens à ce que tu restes ce rêve intouchable, non déterminé, flou, sans limites ni frontières, sans ville ni pays, sans âge ni entourage, sans lieu ni temps, sans espace ni matière, sans véhémence ni emportement, sans adresse ni nom, sans paramètres ni spécificités … un rêve dans le plein sens du terme dont le profil est énigmatique, fantastique, surréaliste, impalpable, existant dans le néant, agissant dans le vent, vivant dans un monde de fées, chantant avec les anges, jouant dans les temples de mon imagination, ressuscitant en moi les désirs ancestraux, les souvenirs les plus inconscients, les fixations les plus enfantines, les angoisses les plus anciennes. Un rêve en tant qu’objet libidinal jamais assouvi, nullement conscient et complètement déconcertant. Un objet d’amour sujet à de multiples transferts d’une belle zone érogène à une autre encore plus symbolique. Rien que des voyages dans le vide de ton temps, le vide de notre instant. » – « Es-tu vrai dans tes sentiments Adel ? Maintenant que tu es calme, je vais te parler de la belle surprise. Mon mari m’a envoyé beaucoup d’argent pour louer un chalet à Laredo, il viendra le mois d’Aout mais nous on ira avant qu’il vient. Tous les deux on passera de belles vacances le mois de Juillet. Ça te va comme ça mon amour ? » Annonçait Ane. – « Mais tu sais bien que je suis fauché et ma bourse s’est envolée voilà une dizaine de jours ! » – « Mais qui t’a parlé d’argent Adel. J’ai reçu beaucoup d’argent » – « Ah bon ! Mais si c’est comme ça, mon sac est déjà fait, quelques slips et des chaussettes et le compte est bon. » Notre voiture caressait les falaises du pays basque via Laredo, ce petit village de pécheurs entre Bilbao et Santander. On entendait des vagues venir mourir sur les roches libres d’une histoire déplorant le fascisme du général Franco. Adel, jeune communiste marocain, apprécia la nature rouge d’un pays de rêve. – « Tu sais Ana, beaucoup de marocains étaient là ! Et tu sais comment ils tuaient « los rojos » ? Et oui, ils pointaient soigneusement la nuit, le petit symbole doré attaché à leurs bérets. Étincelant et étant entre leurs deux yeux et même s’il faisait nuit, la cible était à leur portée. La nuit était sombre, la route serpentée angoissait notre amour. Ana conduisait mon sort terriblement. Mais moi, je ne pouvais pas dormir. Je voyais partout la ETA. Cette organisation que j’admirais dans mes rêves d’étudiant gauchiste. – « Tu sais Ana, pourvu que je rencontre un type de la ETA » – « Ecoute Adel, nous allons passer des vacances dans une résidence de riches, tu verras ! Et toi tu me parles de ton organisation terroriste. Tu n’es point conscient » – Ok Ana, d’ailleurs j’ai laissé pousser ma barbiche et ainsi je me passerai pour un vrai arabe pétrolé » Et c’est vrai ! Ana avait raison. Un chalet de riches, il y avait de tout, une piscine, un terrain de tennis, même des épices qu’Adel n’a jamais connues. Dans une telle ambiance confortable, c’est sûr que tout sera bien épicé. – « Dis Adel, on sort ? Vraiment j’ai envie de danser » – « Prend une douche d’abord mon amour arabe » La boite était pleine de monde. Tous les genres et tous les corps. Perplexe, Adel ne cessait de se jeter une bière puis une autre… Musique et danse rien que cela. Pas d’ETA, pas de gens « sérieux ». – « Arrête s’il te plait Adel, je ne veux pas que tu danses avec cette jeune espagnole. » cria Ana. – « Mais je suis libre quand même ! Et tu savais que j’adore Sartre, lui qui tout le temps insistait que l’être est condamné à être libre ». – « Arrête ta philosophie de merde, je te jure que je partirais si tu danses une autre fois avec cette allumeuse ». Adel hors de lui, prit la jeune espagnole et l’embrasse sur ses belles lèvres. Plus question qu’il fasse marche arrière. Coucher avec une jeune basque était pour lui une façon de lier son sort communiste avec l’organisation séparatiste basque. Il n’est plus revenu rejoindre Ana. – « Oh, Inma, ma copine n’est plus là. Merde où vais-je dormir ce soir ? » – « Ne t’en fais pas Adel tu dors chez moi, j’ai un grand lit et puis tu vas la passer très bien cette fin de soirée » a répondu la jeune basque. C’était vrai, une belle nuit à la basque. Le matin, Adel s’est dirigé vers le chalet. – « Ouvre-moi la porte Ana » – « Pas question que tu rentres ici. Reviens chez ton espagnole » cria Ana furieusement – « Mais tu sais que je ne connais personne ici et que je n’ai aucun sous. Prêtes moi au moins 100 francs pour regagner ma ville ». Ana, ouvrit la porte. Elle jeta 100 Francs par terre et hurla : – « Voilà tes 100 francs et ne reste pas devant ma porte, je ne veux plus te voir. » De Laredo à Bilbao, Adel avait l’impression qu’il a fait un voyage dans le temps. Un train en bois qui s’arrête à chaque quinze minutes. Des paysannes montent avec leurs poules, d’autres descendent avec leurs œufs et d’autres aliments. Adel dormait sur un banc en bois. Un vrai film de cowboy. Ce n’était pas encore l’Europe. Un mois de vacances qui est réduit en une nuit avec une inconnue basque. On dirait qu’Adel a fait un rêve. Plus de chalet, plus d’arabe « pétrolé », plus de tennis, plus d’organisation séparatiste basque… Et surtout plus d’Ana. Le lendemain, Adel s’est retrouvé seul dans sa chambre d’étudiant. Du désamour. Un vide terrible rongeait son ventre. Du coup on sonna à la porte, Adel ouvrit. – « Oh mon amour arabe, je te reviens, je n’ai pas pu rester seule, je t’aime ». C’était la voix d’Ana. Commentaire de Mohamed Salah Ben Amor : Najib Bendaoud est avant tout un poète mais il s’adonne secondairement à l’écriture du récit. Et puisque le premier don est chez lui le principal, il influe inévitablement sur sa deuxième vocation .Et cela se constate dans ce texte dès le titre que son auteur a conçu sous la forme d’un écart poétique surprenant : « A Laredo, Elle me trompait avec son mari ! », ce qui a pour effet d’exciter dès le début la curiosité du lecteur et l’inciter à parcourir rapidement tout le texte afin de comprendre le sens de cette phrase énigmatique. Cependant, après la lecture de ce récit , le lecteur avisé se rend compte que l’auteur n’utilise pas le suspense en tant que fin en soi, mais il vise en premier lieu à soulever un phénomène très répandu depuis l’époque coloniale, mais sur lequel on a tendance à se taire, à savoir les relations extraconjugales entre une catégorie de dames européennes et de très jeunes Maghrébins. Exploitant ce sujet qui a toujours été tabou dans la rive sud de la méditerranée en raison de sa nature prohibée aussi bien par religion que par les coutumes, l’auteur met en évidence le caractère purement charnel de ces relations (Adel retourne à Anna après l’avoir délaissée et noué une relation du même genre avec une autre et Anna de son côté en a fait de même à la fin du récit). Et le mot « arabe » qu’Anna a employé à plusieurs reprises a, en réalité, une signification uniquement sexuelle, car pour cette catégorie de dames européennes, les Arabes sont plus performants en matière de sexualité que les hommes du Nord. Et puisque ce type de relations n’a aucun fond réellement humain ou moral ( adultère de la part d’Anna, aventure à haut-risque du côté d’Adel ), il ne peut être considéré que comme pratique bestiale qui permet d’un côté à ces dames très particulières d’assouvir leur soif sensuelle et de l’autre à ces jeunes Maghrébins de profiter de l’aubaine qui s’offre à eux pour se préparer à assumerphysiquement leur devoir d’adulte loin des contraintes qu’exerce sur eux le surmoi collectif régnant dans leur pays . Un texte narratif traitant sous un angle critique un phénomène qui relève du non-dit dans la société maghrébine, avec un style plein de suspense et d’humour. 2016-09-29 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet