L’espace romanesque dans Le rêve errant de Hassan Oumouloud Par:Mme Zohra Amahou – Agadir- Maroc 24 mai 2020 Zohra Amahou L’histoire se passe à Ait Baha : « ville rurale, petite, étroite et ténébreuse comme la nuque d’une jarre ancienne pleine de mystères » p. 5. Il n’est décrit que l’espace externe, c’est-à-dire tout ce qui est nature. Aucune action ne se passe à l’intérieur d’une maison comme si ces demeures n’existaient pas – ou du moins ne le sont pas pour un vagabond car ils limiteront son mouvement sans lequel il ne peut exister – la seule bâtisse qu’il décrit, qu’il pénètre est celle abritant les deux amours de sa vie : l’huile d’Argan et sa bien-aimée. C’est aussi là où il assiste à la surexploitation « de tous les arganiers » et à la déchéance de « la seule belle face portant une robe toute froissée et tachetée de saleté » p.47, c’est la « demeure la plus sophistiquée » qu’il ne cesse de qualifier de « bagne où il n’y avait plus place de beauté » malgré sa largeur considérable et son aspect majestueux, elle est allouée d’une « laideur philosophique » qui ne trompe que les regards naïfs. Dans tout le roman, Bizigue n’a pas de maison, et n’en fréquente aucune. Il dort sous la nue, dans un cimetière, ou à l’intérieur d’une carcasse de camion, ou près du puits, ou au sommet d’une montagne mais jamais dans une maison car il n’en possède pas. Même son oncle quand il vint le chercher, il ne l’amène pas à une demeure. Il se contente de l’inviter à s’assoir à l’ombre de l’arganier à palabre, avant de l’envoyer en commission à Afra où il trouve toutes les maisons fermées et celle de Dieu souillée par des gamins qui y dessine « un croquis d’organe génital » avant de s’enfuir ; et la seule chaumière qu’un enfant ouvre, il la ferme illico pour lui demander de l’accompagner à un autre lieu : un sanctuaire qu’il considère comme « théâtre morbide et dépravé » et refuse de le pénétrer même pour chercher son destinataire Hajj Salh. Enfin, le lieu nécessaire pour abriter un foyer et une famille n’est pas nécessaire pour une personne qui fuit tout ce qui est institution, familiale soit-elle. Il la rejette puisqu’elle représente tout ce qu’il fuit, tout ce qui bride sa liberté, à commencer par les règles astreignantes de la société. Bizigue fuit tous les jougs: maison, mariage, famille, travail quotidien, tout ce qui est institution, tout ce qui n’est pas nature nue. Peut-être, tout ce qui est espace fermé, lieu réglementé qui mettra fin à son errance vitale pour sa pensée, essentielle à la réalisation d’un rêve errant: on pense plus en mouvement qu’en étant stable ; assure Socrate à ses disciples. On rêve en marchant affirme Rousseau dans ses Rêveries de promeneur solitaire. Et « Seules les pensées qu’on a en marchant valent quelque chose » assure Nietzsche aussi. Au moment où Bizigue fuit toute compagnie qui ne le comprend pas et qu’il ne comprend pas en contrepartie ou plutôt refuse de comprendre de peur de lui ressembler, il déserte l’espace restreint et brouillant des gens pour un méditer à la marge. Et par enchantement, le cimetière parait un lieu idéal de par son calme et son atmosphère mystique. Mieux, il y fait un sommeil de mort entre les tertres peuplés. Peut-être les habitants dociles de ce lieu, eux seuls se délectent d’ « une nature lavée de cette humanité avilie ». Bizigue a tout le temps cette « sensation de dépaysement» p.77 dans son entourage ; un être solitaire perdu dans une nature morte aussi bien que l’est son âme, que rien n’incite à vivre comme tout le monde dans ce moule stéréotypé d’une société qui vit « entre l’enclume de la misère et le marteau de l’ignorance » , refrain qui parsème le récit et qui se reflète en échos dans un autre refrain « maudite soit la misère, mille fois maudite soit l’ignorance » p.43. Credo qui résume tout, et dévoile le mal qui range le sud. Bizigue est rangé aussi par sa conscience de ce mal. Cette conscience de l’inéluctable auquel on n’a aucun issue, nulle échappatoire, nul bon augure. Cela le tourmente tout le temps, lui causant, ainsi, un « mal de vivre » qui le pousse à une errance infinie et sans issue autre que la mort, avant même qu’il n’obtienne une réponse aux questions qui le taraudent « comme aucun ne lui répondit, il se trouva déçu et se tait » p.39. Mais au moins, lui, il a eu le courage de se les poser, les répéter à haute voix et même les traduire en actes fanfaronnes tels fouler les morts et dormir entre eux ; ensuite vaincre la peur et escalader le mont Asndrar. L’auteur Oumouloud, l’alter ego de son héros, est habité par un espace psychique à savoir la nature qui est l’air que respire son récit. Une nature de désolation et recherche continue « où sont les fleurs » p.39. Le seul arbre qui résiste encore c’est l’Arganier « baignant dans la lumière et le feu ». La seule source de vie restante, la seule activité de ces villageoises qui sacrifient tout pour survivre « affreusement atrophiées par leur besogne de bêtes trompées » p.42 et pour garantir la subsistance de leurs familles tandis que les hommes restent sous son ombre à babiller sur les exploits passés ou à faire l’éloge de leurs fils qui les soutiennent depuis les mégapoles. Ce même Arganier enfin qui sert de béquille à un Bizigue extenué, lui donnant force et appuie pour parvenir à escalader la montagne et en acte de reconnaissance « y colle un dernier baiser » P.120. Coté faune, cette nature est désertée par ses animaux mêmes : « où sont ces gazelles … ? » s’écria Bizigue ! Faute de gibiers, le chasseur Tahar explose son fusil dans l’air et « chasse des chimères ». Le seul oiseau qui y vit encore, c’est le corbeau charognard et trouble-fête des habitants des tombeaux du seul cimetière d’Ait Borah. Quant à la nuit, c’est un ogre qui dévore toute beauté, tout espoir et toute vie, et peuple les rêves de Bizigue de cauchemars, que le jour vient effacer et rendre à la vie sa beauté ; par la bénédiction de son « soleil arachnide baignant tout le monde dans la lumière et la chaleur » et bénir Bizigue de sourire et de sérénité p.77 .Bien que le jour aussi, ne manque de lui montrer sa face horrible lors de son cheminement vers Afra pour rendre son escapade hors de la zone habituelle de son vagabondage plus insupportable sous « un soleil blanchâtre couleur de linceul » qui l’assomme et précipite sa fin. Si la partie des errements est parsemée de questions et de tourments, le chemin vers Afra est éclairé par les réponses de Moha qui viennent éclaircir les idées de Bizigue, lui inspirant des réponses sur la misère et l’ignorance, « il n’y a que le savoir pour éclairer les chemins les plus sombres et guider vers l’espoir et la vie souhaitée »… car « tout être porte son bonheur comme son malheur en lui ». Il n’a pas à quêter loin , ni à se perdre pour le trouver, ce bonheur « pas loin que sous ses pas » p. 97 , souvenir de l’Alchimiste de Coelho. Il suffit à Bizigue d’Oumouloud d’escalader la montagne d’Asndrar pour le sentir à mi-chemin, le retrouver et s’y affaisser. La montagne : « celui qui ne s’habitue pas à grimper les monts habitera toujours au fond des grottes » la citation p.90 ; et « quelle sorte d’Oulémas font d’un mont un enfer » : sont deux morceaux qui disent long sur la montagne, symbole de la persévérance et de la résistance contre l’homme et la nature, et toutes autres autorités qui ont décimé les autres éléments plus fragiles de la région du Souss. C’est un rempart contre toute invasion naturelle ou artificielle. Et c’est surtout le rocher que portera Bizigue-Sisyphe sur son dos jusqu’au sommet de l’existence. Certainement, d’en haut, la nature est plus belle à contempler pour cet être hors pair, à visage clownesque et à l’âme forte, ayant horreur de l’uniformité, il a sacrifié tout ce qui le fera ressembler aux autres membres d’une même communauté. Car lui, il s’est fixé un autre but que les autres craignent et il a escaladé Asndrar ; car lui, il a forgé une autre existence digne d’être terminée en gloire sur un sommet. Finalement, le rêve de Bizigue l’errant s’est déployé en trois mouvements : 1.Errance, 2.Mission et 3.Sommeil (mort ?) ; Errance de découverte et d’exploration, Mission d’examen et d’endurance et Sommeil de repos après récolte. Trois étapes qui résument la vie qui résument la trajectoire humaine sur ce précipice affreux qu’on nomme Vie. 2020-05-24 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet