Le 5ème colloque de la maison Ichraq éditions « Radhouane El Kouni nouvelliste, romancier et critique» avec la collaboration de l’Association des anciens élèves de l’école Sadiki(2):les interventions


Ce colloque s’est tenu le 8 janvier 2022 à 9h du matin au club des anciens élèves de l’école Sadiki sis au 13 rue Dar El Jild à Tunis.

Les interventions

L’intervention du critique Mohamed El May :

 « L’institution culturelle pour l’écrivain: un avantage ou un inconvénient ? Radhoune El Kouni comme exemple».

L’intervention du critique Mohamed El May est totalement inédite: « L’institution culturelle pour l’écrivain: un avantage ou un inconvénient ? Radhoune El Kouni comme exemple». S’appuyant sur des exemples bien choisis dans l’histoire de la littérature tunisienne moderne et contemporaine (les parcours et les œuvres des écrivains tunisiens Zine El Abidine Senoussi – Mohamed Laroussi El Métoui –Mahmoud Messadi – Aboulkacem Mohamed Kerrou – Ezzedine Madani – Samir Ayyadi- Radhouane Et Kouni), il a remarqué que les responsabilités culturelles qu’ils ont assumées pendant plusieurs années ont empêché la majorité d’entre eux, y compris Messaidi qui doit sa notoriété à l’introduction de ses livres dans le programme du Baccalauréat depuis l’indépendance, de se consacrer à l’écriture et, par conséquence, d’exceller dans aucun genre littéraire, à part Ezzedine Madani qui a su tirer à son profit les responsabilités qu’il a assumées à la tête du supplément culturel du journal « El Aamal »(1968-1973), à la maison de la culture Ibn Rachiq et au prix de la banque tunisienne. Et ce, parce qu’il a toujours accordé à l’écriture dans sa vie la priorité absolue.

L’intervention du critique Ahmed Hadhek El Orf : « Radhouane El Kouni critique littéraire à travers son ouvrage L’écriture de la nouvelle en Tunisie pendant de vingt ans »,

A quel point un écrivain narrateur (nouvelliste ou romancier) peut-il être objectif quand il parle des écrits des autres écrivains narrateurs ou un poète quand il émet un avis sur les poèmes d’autres poètes. En d’autres mots, la critique faite par les créateurs peut-elle être considérée comme une vraie critique ?

C’est la problématique sur laquelle s’est penché le grand critique Ahmed Hadhek El Orf dans son intervention : « Radhouane El Kouni critique littéraire à travers son ouvrage L’écriture de la nouvelle en Tunisie pendant de vingt ans », en examinant minutieusement tous les contextes où Radhouane El Kouni a émis un jugement dans cet ouvrage .Et cette investigation l’a conduit à conclure que le lecteur de ce livre se trouve « devant un discours qui ne prétend nullement être un discours savant chargé de références, ni en face d’une méthodologie rigoureuse délimitée par des outils pratiques complexes, ni un système de concepts à priori duquel l’auteur part puis y revient , ni un système idéologique qu’il veut consécrer, ni une tendance utopique dont il annonce la grâce.

C’est un discours plus modeste, guidé par une passion avec les styles de la narration et la diversification de de ses instances narratives, un discours quine prétend pas l’exhaustivité et l’intégralité, ni cherche la dureté et la hautaineté.

En un mot, ce livre appartient, si nous le voulons, à ce qu’on appelle « la lecture amoureuse ».

L’intervention du critique Ahmed Mamou : « Radouane ElKouni entre l’expérimentation et le réalisme »

C’est sincèrement l’étude la plus complète et la plus exhaustive faite jusqu’à présent sur l’œuvre narrative de Radhouane El Kouni. Et il n’y a rien d’étonnant, car l’intervenant était l’un des amis les plus intimes de l’auteur et il l’a accompagné dans son son parcours du ses débuts à la fin des années 60jusqu’à sa mort en 2010.

Armé de cette connaissance approfondie des écrits narratifs du défunt, Ahmed Mamou a tenté une approche « déconstructive » qui lui a permis de dégager les caractéristiques de chacun des deux éléments constitutifs de la dualité la plus pertinente dans ces écrits,à savoir : l’expérimentation /et le réalisme, ce qui l’a conduit à conclure que « l’écriture narrative chez Radhouane ElKouni est un espace dans lequel l’écrivain exprime son attitude et sa prise de position à l’égard du réel vécu et les transmet au lecteur sous une forme artistique qui s’élève au niveau de la littéralité du texte (c’est-dire ce qui fait du texte un texte littéraire). De ce fait, l’écrivain devient un témoin de son époque .Quant à l’expérimentation, elle est une méthode d’écriture délimitée par les règlements du pacte conclu entre l’auteur et le lecteur et qui consiste surtout en la nécessité de transmettre et de communiquer de la façon la meilleure qui soit . Quant à l’expérimentation, elle n’est pas un simple dialogue subjectif entre l’écrivain et ses idées »

L’intervention du critique Mustapha Kilani :Le descriptif des mondes ; ses signifiants, ses significations et ses polysémies dans les chaises renversées de Radhoune el Kouni.

Doté d’une culture vaste et bien assise, Mustapha Kilani est l’un des rares critiques tunisiens qui recourent à ce domaine du savoir dans l’approche des œuvres littéraires.

Dans cette étude sur le premier recueil de nouvelles de Radhouane El Kouni intitulé Les chaises renversées, il conçoit que la notion d’espace y est la plus pertinente du fait que le Moi narrateur se déplace constamment d’un monde à un autre. Et pour la saisir telle qu’elle a été émise à travers les textes de ce recueil, il fait appel à la théorie phénoménologique de Husserl, ce qui le conduit à conclure que le monde narratif de Radhouane El Kouni fait figure d’un tout doté d’un paysage pluriel semblable à un spectre narrativisé autobiographique dont l’essence est un vécu passé et un autre né de deux espaces opposés chacun d’eux ayant ses choses propres puis suite à la distanciation temporelle, ils se sont enchaînés sous la forme de à-priori et à posteriori.

L’intervenant remarque aussi que dans ce recueil les paysages sont décrits selon des styles empruntés à différents arts dont surtout le cinéma.

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L’intervention de la critique Manoubia Ben Ghedahem : Radouane El Kouni nouvelliste réaliste à travers son recueil Le tunnel (1983).

Radhouane El Kouni présente cet ouvrage comme une nouvelle expérimentation. Après son expérience avant-gardiste, El Kouni tente une nouvelle approche : obliger l’art à représenter la réalité, et pas n’importe quelle réalité : celle qui est appréhendée sans fards, pour parler des gens humbles, banals, peut-être pas si beaux à voir. Ce type d’écriture permet de ranger les textes de ce recueil dans la catégorie des nouvelles réalistes.

« Le tunnel » est un ensemble de récits qui racontent le vécu, avec souvent son côté laid et impitoyable. El Kouni y présente le héros d’une façon apparemment très ordinaire dans un récit que lui, l’auteur, assume avec l’emploi du « je ». Le héros semble en parfaite cohésion avec son environnement que la description permet d’identifier facilement. Puis on se rend compte que ceci n’est que l’apparence : des indices montrent ou suggèrent le décalage invisible aux yeux des autres personnages.

Dans cette écriture, il faut souligner l’importance que l’auteur accorde au détail qui permet de donner au récit son aspect vraisemblable, ce qui lui permet de confiner au vrai.

Dans « Le tunnel » Radhouane El Kouni arrive à créer des huis clos même dans les espaces les plus ouverts, or le huis clos est essentiel à la cristallisation des crises, à la concentration des émotions et même aux affrontements.Son huis clos le plus fréquemment utilisé est le moi intérieur du héros narrateur. Ses soliloques permettent de « voir » se dérouler des combats intenses et douloureux dont les personnages ne veulent rien laisser transparaitre.

Ce qui est à souligner dans cet ouvrage, c’est le tragique de la vie quotidienne, conséquence de l’absurdité des comportements humains.

L’intervention du critique Amor Hfaiedh : Le réalisme du roman et l’épreuve de l’intellectuel à travers Les Darawichs de la place de Radhouane El Kouni.

L’intervenant a suivi de près les péripéties du roman intitulé Les derviches à la place 52009°qui est le 4ème et dernier roman de Radhouane El Kouni et observé avec précision ses détails afin de mettre à nu sa nature . Ce roman est axé autour d’un affrontement ouvert entre la société nationale d’exploitation et de distribution des eaux d’un côté et trois intellectuels dit « les derviches » et un groupe élargi de citoyens de l’autre, lesquels se sont abstenus à payer leurs factures en signe de protestation.

Les trois derviches sont Salem Aloui (le héros), détenteur d’un diplôme en sociologie, Tawkiq Abbes, un professeur d’enseignement secondaire en langue arabe et qui écrit des nouvelles sans succès et Mansour Nimr, un cinéaste qui a étudié l’art cinématographique en Belgique.

Tous les trois se rencontrent à titre quotidien au café pour bavarder à prpos de sujets locaux ou arabes ou mondiaux et pour réfléchir et rêver du changement.

Un jour, un problème s’est produit dans le quartier: la Société a coupé le courant électrique à tous les habitants parce qu’ils n’ont pas payé leurs factures sous l’instigation des trois derviches. Et lorsque la situation s’est empirée, on a proposé aux habitants de générer le courant électrique de leurs corps, ce qui a amené l’intervenant à conclure que le réalisme que Radhouane El Kouni a adopté après l’étape de l’expérimentation n’est pas le réalisme au sens de la reproduction exacte de la réalité mais le réalisme magique, du moins dans ce roman. D’autre part, à travers le rôle qu’ont joué les trois derviches dans la conscientisation des gens, l’auteur semble adresser un message: l’intellectuel a un rôle à jouer dans la société, ce qu »on peut appeler « réalisme critique »

L’intervention du critique Mohamed Salah Bouomrani : Le roman et les mutations sociales :le  roman :Ras Eddarb de Radhouane El Kouni comme exemple.

Le roman Ras Eddarb (littéralement: « le début du chemin » et qui désigne ici un lieu dans la vieille ville de Tunis)(1994) est le premier ouvrage de Radhouane El Kouni dans ce genre littéraire. Et étant donné que le thème prédominant dans ce récit est, selon l‘intervenant, « les mutations sociales profondes qui s’étaient produites  dans la société tunisienne  pendant l’époque coloniale et la fondation de l’état moderne, il a opté pour l’analyse critique du discours comme méthode,  par le biais de laquelle il a tenté de mettre à nu  les diverses formes de lutte sociale  entre l’authenticité et la modernité, l’homme et la femme, le riche et le pauvre, le blanc et le noir, le valide et l’invalide, le socialement légal et l’illégal et aussi d’expliquer comment le rang  social se détermine à partir du rôle que joue chaque actant social. Mais le roman n’est pas un espace  pour la description neutre, car autant qu’il reproduit  les représentations  sociales  et décrit  les mutations qui se produisent dans l’esprit humain et les pratiques    empiriques, autant il contribue à la réalisation de ces mutations. Ce qui en fait  un discours idéologique et  et un acte social ».

Et  malgré que cette approche soit cognitive et que l’application de la cognition sur la littérature ne soit pas encore suffisamment répandue même en France , l’intervenant a réussi à retenir l’attention du public  par l’usage d’une langue simple, facile à comprendre et dénudée de termes  peu usités du genre qu’exige généralement toute langue savante. Et c’est là justement la différence essentielle entre la critique littéraire qui s’adresse  au public de la littérature  dans le milieu culturel et la recherche scientifique en littérature  qui est  pratiquée aux institutions universitaires.

L’intervention de la critique Faouzia Saffar Zaouak: La dialectique entre l’historique et le créatif dans le roman Le hennissement des grenades de Radhouane El Kouni

Le hennissement des grenades (1998) est le titre du 2ème roman de Radhouane ElKouni, un roman réaliste de par ses événements, ses lieux et ses personnages mais symbolique au niveau de ses significations que l’intervenante a essayé d’interpréter et de déchiffrer. Les événements de ce roman se déroulent à l’époque coloniale et au début de l’indépendance. Et le héros est un photographe au nom de Cicarelli amené de France par la résidence générale pour lui photographier tout le quartier de Hahfaouine et la place de Bab Souika à Tunis pour ses services de renseignements .Il assuma cette tâche pendant trente six ans et quant vint l’indépendance, il décida de renter dans son pays et remit la quantité gigantesque de photos qu’il a prise à un ami peintre et écrivain natif du quartier répondant au nom de Sauvagine qui se mit à les interroger une à une, tout en reliant le passé du présent, ce qui a offert à l’auteur Radhouane ElKouni l’occasion de diffuser à travers ses textes ses attitudes positives ou négatives à l’égard de ce qui s’est passé auparavant et ce qui se passe au moment de l’énonciation dans ce quartier et d’émettre ses avis et ses jugements sur plusieurs types de personnes qui y vivent. Quant au titre Le hennissement des grenades, il exprime peut-être un vœu de l’auteur qu’une explosion se produise et débarrasse ces lieux des aspects de dégradation et de pourriture qui s’y sont aggravées. C’est comme s’il a prédit la révolution ou y a au moins rêvé !

 Mustapha Mdaini : Une lecture du roman La fête des Masaiid de Radhouane El Kouni: la vie qu’une boîte de jeux que ses habitués ne comprennent que trop tard».

La fête des Masaiid (2005) est le 3ème roman de Radhouane El Kouni. Il est inspiré du monde problématique du football dans lequel s’enchevêtrent le sport, la politique et l’économie. Et sans doute pour démêler cet embrouillement, l’intervenant a élaboré une étude complète englobant tous les niveaux (narratif, thématique, linguistique…etc).

Les faits relatés dans ce roman tournent autour d’une équipe tunisienne de football imaginaire, Masaiid,qui a atteint la finale à côté du champion européen La flèche dans un championnat mondial organisé par la société civile. Et le tirage au sort a donné que le match se déroule en Tunisie. Mais au cours du jeu, l’arbitre l’arrête à cause d’une coupure du courant électrique et on le reporte à une date ultérieure.

C’est le cadre général où se déroulent les événements. Et le héros du roman Farhat Khadhraoui, un journaliste sportif diplômé de l’Institut de presse, découvre dans une enquête l’implication du président du club tunisien l’homme d’affaires riche et influent Hammouda Zahwani dans plusieurs affaires de corruption, ce qui a valu au jeune journaliste l’emprisonnement.

La conclusion qu’on peut tirer de ce roman réaliste et symbolique est que son auteur Radhouane El Kouni vise à dévoiler les foyers de corruption qui se cachent derrière le slogan du sport surtout au sein des grandes équipes où se pratiquent le versement des pots de vin, la vente des matchs, la manipulation des résultats…etc…en plus du dopage du peuple et son détournement de ses vraies causes.

D’autre part, le fait que le héros combat la corruption dans ce monde régi par les fausses valeurs montre que le réalisme auquel s’attache Radhouane El Kouni est le réalisme critique.

La critique Houyem Ferchichi :Le réalisme critique et l’usage du discours psychologique dans le roman La fête des Masaiid de Radhouane El Kouni

Si le critique Mustapha Mdaini a élaboré une étude complète de ce roman couvrant tous ses éléments constitutifs, la critique Houyem Ferchchi, elle, a opté pour l’approche de l’un de ces constituants: « Les images symboliques » que l’auteur y a mis en œuvre, du fait qu’elle a remarqué que Radhoune El Kouni s’est basé sur les images littéraires pour approfondir la représentation de l’état du personnage romanesque au niveau de ses dimensions psychologiques et humaines et ses soucis sociaux et intellectuels ainsi que son action, ses envolées imaginatives et l’expression de ses actes dans un espace limité.

Parmi les images que la critique a relevées, celles qui apparaissent au narrateur au moment où il contemple une tasse de café. Il aperçoit alors des traits et des formes qui se transforment en images spectaculaires imaginaires qui dépeignent l’humeur du personnage et la charge psychologique qu’il porte et permettent d’explorer les profondeurs des mondes intérieurs qui se cachent derrière ses actes apparents, Ce qui fait que le narrateur voit la vie à travers son ressenti ambigu et

ses expectations à travers ces symboles pour faire face à sa réalité.

Et dans ce contexte-ci, la mousse du café se transforme en un miroir sur lequel se reflète sa propre conscience, ce qui l’amène à transformer les traits en des formes expressives et signifiantes.

Parmi les autres images que l’intervenante a essayé d’interpréter, les formes géométriques des immeubles et les jeux surtout que le roman tourne autour d’un club de football.

Ces interprétations amènent la critique à conclure que: « Les images symboliques dans le roman La fête des Masaiid de Radhouane El Kouni font partie de la réalité et elles sont aussi des images littéraires qui reflètent la capacité de l’intellect et de l’imagination à transmettre le sens à travers des codes linguistiques pour mieux interpréter les événements et en donner une vision mentale qui lui est liée. C’est une vision émanant de l’intérieur du personnage et dirigée vers la réalité à travers laquelle le narrateur exprime les jeux possibles de la communication et passe outre la reproduction des événements et l’information du lecteur pour les suggérer et exercer des effets sur lui.

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