Mémoires d’un critique : Comment j’étais venu à la critique d’avant-garde ?(2) :le rôle déterminant de Hédi Bouhouch 8 mai 2020 Hédi Buhouch (1950 -2017) Hassine Loued (1948 – 2018) Ahmed Hadhik Alorf Dans la première partie de cet article, j’ai évoqué la longue étude qui m’avait été publiée les 10 et 17 du mois d’octobre 1969 dans le supplément culturel du journal « El Aamal » sous le titre « essai sur les étapes de l’évolution de la poésie tunisienne moderne » et dans laquelle avais dressé un tableau général de cette poésie des années vingt jusqu’au moment de l’élaboration de cette étude, sans exclure la moindre tendance ou sensibilité poétique , et ce , pour prouver qu’à ce moment-là je n’avais aucun lien avec mouvement « l’Avant-garde littéraire » qui avait été créé en 1968 par Ezzedine Madani . Quelques jours après la parution de cette étude, j’étais avec Hédi Buhouch, Hassine Loued , Le poète Hamadi Touhami El Kar assis au café de Paris à Tunis le soir vers 19h après notre sortie du restaurant universitaire ,quand le poète Jaafar Majed fit son entrée. Il était notre aîné de huit à dix ans et se comportait comme une vedette parce qu’il produisait et présentait une émission littéraire à la radio dans laquelle il nous attaquait souvent et faisait partie du comité de rédaction de la revue « El Fik (la Pensée » la revue la plus importante dans le pays à cette , en plus de la parution récente de son premier recueil intitulé Etoiles au dessus du chemin. Et la parution d’un livre à cette époque était un événement national .Le le poète feu Hamadi El Kar qui publiait à « El Fikr » depuis 1968 connaissait Jaafar.Il le salua et il vint mous serrer la main tandis que Hamadi nous le présentait l’un après l’autre. Quand vint mon tour et Jaafar entendit mon nom, il s’assit sur ses talons et me : « De quoi te mêles-tu ? ». -« Me mêler de quoi ? », lui réponds-je. -« Tu y a parlé de la « Ni verticale ni libre » -« Mais j’y ai présenté aussi tous les courants poétiques du pays » « Mais la « Ni verticale ni libre »n’est pas de la poésie. Sais-tu que c’est moi qui ai proposé au comité de rédaction de la revue »El Fikr » de la dénommer ainsi (pour l’histoire le poète Noureddine Sammoud qui était aussi membre du comité d’« El Fikr » m’a affirmé plusieurs années pus tard que c’était lui et non Jaafar l’auteur de cette dénomination). Et sais-tu pourquoi je l’ai appelée ainsi ? C’est pour l’exclure de l’art poétique » , avant d’ajouter en ricanant « Et le rédacteur en chef ne s’est aperçu de rien et il l’a adoptée ! ». -« Dans ce même article, j’ai parlé de ta poésie et je l’ai loué », lui remarque-je. « Cela ne m’honore pas. Puisque tu considères la « Ni verticale ni libre » un genre poétique , je n’ai pas de confiance en tes connaissances en matière de poésie et tu me rendras un grand service si tu ne parles plus de moi ». Dès qu’il s’en alla, Hédi Bouhouch, irrité par ce qu’il venait d’entendre, éclata de colère et dit : « Quelle arrogance !C’est vraiment une belle leçon pour toi. Ces gens-lâ ne méritent pas qu’on écrive sur eux mais qu’on les combatte .Que penses-tu si nous faisons une étude sur la poésie ni verticale ni libre ? » et je donnai mon accord tout de suite. Je décidai aussi de pas finir une étude que je préparais sur le recueil de Jaafar Majed. Le poète Hamadi El Kar qui écrivait de la poésie libre a déclaré qu’il n’écrira à l’avenir que de la poésie ni verticale ni libre et qu’il se joindra à nous dans notre combat contre les classiques et les semi-classiques. Du coup, une nouvelle critique fut née en quelques minutes et s’est donné pour but de faire face aux classiques et aux néo-classiques. En près de deux mois, moi et hédi Bouhouch avions réuni tous les poèmes publiés sous la dénomination « Ni vertical ni libre »et les avions soumis à une analyse phonétique inspirée des méthodes de la phonétique expérimentale de l’abbé Rousselot.Et vu que cette poésie n’est pas régie par des règles métriques et qu’elle repose essentiellement sur l’improvisation et la spontanéité, nous avions essayé de la comparer avec le jazz. A mi-décembre 2009, cette étude était achevée et pour renforcer encore plus son coté argumentatif, nous y avions inséré des schémas et des tableaux acoustiques montrant le mouvement de la mélodie sonore du début du poème jusqu’à sa fin selon l’état d’âme du poète. Et comme la méthode que nous y avions suivie était la méthode de phonétique expérimentale , nous avions mis au dessus du titre de notre étude ce surtitre : « Critique expérimentale ». Divisée en quatre parties, cette étude a été publiée dans la revue « El Fikr » aux mois de janvier, février, mars et mai 1970.Et dès son apparition, un flot de vives réactions négatives de toutes sortes (accusation, dédain, moquerie…) s’est déversé sur le milieu littéraire .Ezzedine Madani lui –même dans sa rubrique hebdomadaire au supplément culturel d’ « El Aamal » qu’il consacrait à la présentation des nouvelles parutions n’a pas apprécié notre surtitre pensant que nous l’avions copié sur le nom de son courant « la littérature expérimentale » , alors que l’expérimentation qu’il adoptait avait un autre sens tout à fait différent qui est l’écriture sans modèle qui consiste à ce que l’auteur se crée ses propres principes ou règles esthétiques. Pour éviter l’ambigüité causée cette bisémie, nous avions décidé sur ma proposition de délaisser le terme d’expérimental et le changer par le terme « d’avant-garde » qui était utilisé à cette époque en France par les deux groupes littéraires « Tel quel » et « Change »,ce qui a donné en définitive cette dénomination de « critique d’avant-garde ». Cette décision avait eu un grand effet sur le groupe des écrivains et des poètes qui s’appelaient jusqu’à ce moment « les écrivains expérimentaux »car ils s’étaient trouvés séduits par notre dénomination. Et depuis, le nom de « littérature expérimentale » a cédé la place définitivement à celui de « littérature d’avant-garde » . Et je reconnais que j’avais commis là une faute grave ; car le terme expérimental de Ezzedine Madani a un sens épistémique tandis que le mot avant-garde est un mot mélioratif dénotant la présomption et l’imposture sans compter qu’il nous a causé de grands problèmes .En effet, un demi-siècle après l’arrêt de l’avant-garde des personnes qui n’avaient jamais eu aucun lien avec ce mouvement continuent à dire qu’elles en faisaient partie. Voila, feu Hédi Bouhouch n’avait pas beaucoup écrit et sa présence sur la scène littéraire était brève mais son influence était , parce c’était lui sur son initiative une critique anti-classisisme et anti-semi-classicisme avait vu le jour et s’était poursuivie après son départ avec Hassine Loued puis avec Ahmed Hadhik Alorf Jusqu’à l’arrêt total de l’avant-garde en décembre 1972 . Quant à moi,trois ans après l’arrêt de l’avant-garde, je revins à Tunis et à ma position initiale qui était d’écrire sur toutes les tendances et les sensibilités littéraires sans distinction aucune à part la valeur intrinsèque de l’œuvre . 2020-05-08 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet