Conversation entre Maître Sisyphe l’ancien et maître Sisyphe le jeune… : Rémy Ducassé –Bastia- France 16 novembre 2019 Rémy Ducassé Mes chers amis(es), Préambule : Nous n’allons pas j’en suis désolé pour ceux qui attendait cela de moi, aborder littérairement l’essai d’Albert CAMUS : « Mythe de Sisyphe ». Pourtant je dirais à celles et ceux qui ne l’ont pas lu, empressez–vous de le lire. Au deuxième paragraphe du prologue de son essai voici ce que nous dit CAMUS : « Les pages qui suivent traitent d’une sensibilité absurde qu’on peut trouver éparse dans le siècle…/ puis un peu plus loin…/Mais il est inutile de noter, en même temps, que l’absurde, pris jusqu’ici comme conclusion, est considéré dans cet essai comme un point de départ ». Fin de citation. Pour moi le mythe de Sisyphe avec l’absurdité qu’il présente, n’est qu’un point de départ. Nous l’avons tous je crois, en tant qu’humains éprouvé un jour au fur et à mesure de notre cheminement. L’œuvre humaine est le plus souvent majesté. C’est l’absurdité violente suscitée par toutes les jalousies de cette œuvre qui entraîne l’absurdité globale du monde. C’est elle qui nous décourage. Toutes ressemblances avec la réalité et des personnes vivantes ou ayant existées ne sauraient être fortuites. Nous étions souvent assis tous deux, là, côte à côte au pied de la pente très rude. Le premier il s’adressa à moi, la voix basse, non par un quelconque signe d’usure ou de fatigue, plutôt comme pour me ménager. Une forme de respect. Nous étions coutumiers d’échanger toujours quelques mots, avant de commencer l’ascension de la taille de nos pierres respectives. Les mots étaient directs et les phrases courtes. Quelque fois, seuls des regards échangés entre–nous suffisaient pour que nous nous comprenions. Il y avait dans ces dialogues, beaucoup plus d’interrogations, que d’affirmations. Comme ce midi chers amis(es). Dans ma façon de le nommer, il n’y avait aucune condescendance. C’était un de mes frères d’étude, préféré et le fait que quelques dizaines d’années nous séparaient n’avait jamais en rien impliqué que je le regarde de haut. Bien au contraire. Je le voyais un peu comme mon successeur, un fils spirituel, auquel j’essaierai de transmettre du mieux que je le pouvais, ce que la vie et d’autres Maîtres plus anciens, aujourd’hui disparus m’avaient transmis. Je lui avais à plusieurs occasions, proposé plusieurs sujets de travaux. A l’appel du seul mythe de Sisyphe, il avait réagi avec enthousiasme. Je lui expliquais ce que je voulais faire – un dialogue entre deux Sisyphe, un jeune et un ancien. Les deux cheminant côte à côte, régulièrement, ce pourraient être deux Maîtres Sisyphe. – Vous maître Sisyphe l’ancien, pourquoi restez–vous là assis au bas de la pente, alors que nous sommes tous condamnés à rouler notre pierre jusqu’au sommet ? – Je ne sais pas Sisyphe le jeune, je ne sais pas. Si je te dis que je ne me sens plus digne de la rouler, pour tailler ma pierre, déjà bien usée jusqu’au sommet de la pente, cette réponse va–t–elle te satisfaire ? – Je ne sais pas maître l’ancien, je ne sais pas. Je ne m’autoriserai absolument aucun jugement de quelques sortes que ce soit, sur la réponse que vous pourriez esquisser. Seriez–vous fatigué maître Sisyphe l’ancien ? – Peut–être Sisyphe le jeune, peut–être. Ne vois–tu pas la courbure de mon dos,et mes mains qui tremblent ? N’as–tu pas vu depuis tout ce temps où tu chemines jour après jour à mes côtés, combien mon souffle devenait court,mon pas traînant et la forge de mes poumons sifflante ? Mais il n’y a pas que cela dans mon état. Ce qui m’est le plus difficile à porter tel un fardeau sur les épaules, c’est ma pierre taillée devenue presqu’insignifiante face à l’absurdité du monde. – Maître Sisyphe l’ancien j’ai vu tout ceci. Je l’ai entendu aussi. Je n’ai pas osé vous proposer mon aide. L’auriez-vous acceptée, Maître Sisyphe l’ancien ? Je ne me suis pas senti digne de vous offrir mes forces et ma jeunesse. – Asseyons–nous mon jeune frère. Je ne peux déjà pas bien penser, quand je respire normalement, alors imagine, lorsque je suis essoufflé. Non je n’aurais pas accepté ton aide. Non par fierté, mais plus simplement parce qu’il appartient à chacun d’accomplir son œuvre. Et puis, ici tu l’apprendras un jour toi aussi, le temps ne se décompte pas de la même façon. Le temps est aboli, rien ne presse, nous ne sommes pas dans l’urgence, broyeuse des hommes, du monde profane. Lis–tu la poésie ? les poètes disent souvent des choses simples qui nous éclairent sur les choses compliquées. Je vais te citer un ami poète Abdelghani RAHMANI qui a dit : « Ce que tu gardes est perdu à jamais, ce que tu donnes, est à toi pour toujours ». C’est mon œuvre achevée que je partagerai avec toi, mon jeune frère Sisyphe. C’est en l’observant, attentivement, en l’étudiant dans ses moindres détails,dans ses moindres contours, en cherchant l’invisible derrière le visible,lentement, patiemment, plus souvent dans le silence que dans le bruit, plus souvent dans l’écoute que dans le bavardage que tu pourras ainsi me connaître, même après ma disparition. Enfin pourra venir peut–être le temps de « l’épandage à l’extérieur du Temple de nos esprits ». – Oui, mon frère Maître Sisyphe l’ancien je le vois bien. Je le crois tout aussi bien que vous. J’entends tout ce que vous me dites. – Alors Sisyphe le jeune, oui nous Maîtres sommes tous « des Sisyphes », condamnés au nom de nos propres engagements profanes, librement consentis à servir le monde, à l’éclairer, humblement. Aucun d’entre–nous n’est assuré de posséder la vérité, seulement une infime parcelle de vérité. Le poète Jacques PRÉVERT a écrit : « Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie ». – Mais maître Sisyphe l’ancien, le mythe de Sisyphe de la tradition mythologique fait de ce guerrier vaincu, un condamné à perpétuité, par les Dieux. Dans cette condamnation même réside toute la tragédie qui le frappe. – Mon jeune Frère Sisyphe nous sommes Maîtres plus forts parce que nous sommes rassemblés, et cette vision si sombre de l’Homérique histoire de Sisyphe, ne saurait nous satisfaire. Il y manquerait ce brin de folie, cette utopie qui fait de nous d’éternels porteurs de Lumignons. – Oui Maître Sisyphe l’ancien, je vois bien tout ceci, mais que pouvons–nous y faire ? Par exemple lorsque le Lumignon s’éteint ? – Selon toi que venons–nous faire en ce lieu protégé, fermé, soigneusement verrouillé, à l’abri de tout regards non-initiés ? Crois–tu que ce soit par simple précaution ou vaniteuse prétention ? Lorsque tu me confies quelques secrets sans aucun voyeurisme, n’est–ce pas ainsi que nous construisons les murs de notre temple ? C’est ainsi que la Lumière se transmet. Ainsi que la Lumière de siècle en siècle, de culture en culture, de respect s’imposant des unes par rapport aux autres, nous arrive, à travers la chaîne du temps, et comme me l’a écrit un Frère, Maître comme nous : « Tant qu’il en restera, un… » Il n’avait pas fini sa phrase, tout était à comprendre dans les points de suspension. De points de suspension, en points d’interrogation, c’est ainsi que jaillissent des particules de Lumière. – Maître Sisyphe l’ancien pourtant il y faut une impérieuse nécessité : le secret absolu refermé sur nos bouches closes. Nous venons fouiller au plus profond de nous–même, en écoutant la parole de nos frères et de nos sœurs ou en leur apportant la nôtre. Tout ceci se faisant, sans aucune crainte de jugement de quelque forme que ce soit : « Nous apportons notre approbation, ou notre désapprobation uniquement sur la forme, jamais sur le fond ». Souvent cette introspection se poursuit au–delà de ces murs protecteurs, et au–delà du temps qui nous rassemble. Le silence est un des plus beaux instruments, dont nous devons apprendre à nous servir et que nous ne devons pas craindre. Le silence et la solitude ne doivent pas nous effrayer. – Mon jeune frère Maître Sisyphe, j’approuve totalement les propos que tu viens de me tenir. Vois–tu tout autour de nous, du plus près au plus lointain,que le monde va si mal, que les plus grands de ce monde ne sont plus capables de rien changer, et que seule l’idée d’une issue fatale leur vient à l’esprit ? Vois–tu toutes ces fenêtres qui se ferment, en Orient, en Amérique du nord au sud ? Vois–tu cette absurdité, ce paradoxe entre le monde extérieur et l’intérieur du temple de nos esprits ? Mais vois–tu ta propre pierre se polir, se préparer pour s’assembler aux autres pierres dans les murs du grand Temple ? Personnellement j’oscille en permanence entre la tristesse du constat de nos échecs collectifs et l’euphorie tentatrice de mes éclairs de conscience. Je voudrais tant partager ma vision dans ces moments de fulgurance éclairés. Mais bien souvent, c’est à cet instant précis où tout me semble si clair, que ma vue s’obscurcit devant le spectacle du monde autour de moi. Pour illustrer mon propos ce vers de René CHAR extrait de Feuillets d’Hypnos Fureur et Mystère de 1948 : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil ». N’est–il pas là plus étrange paradoxe ? – Oui Maître Sisyphe l’ancien, je vois bien tout ceci, mais que pouvons–nous y faire ? Ma petite pierre me semble si dérisoire eu égard à l’imposante stature des murs du Temple, tout là–haut. – Mon jeune Frère Maître Sisyphe, laisse-moi te dire la chose suivante : as–tu remarqué ces quelques murs de pierres ici, dans notre île, ils ne sont pas faits que de gros blocs de pierre montés les uns sur les autres. Non, entre les gros blocs on peut voir de minuscules éclats de pierre qui calent les autres.Alors ne jetons pas les éclats résultant de la taille de nos pierres. Revenons maintenant à la notion de temps. De tout temps depuis la première aube, il y a eu des humains qui ont cherchés à dominer les autres. Ils ont voulu posséder leurs biens, même si ceux–ci étaient maigres. Ils ont tué, violé, mis en esclavage, au nom de leurs Dieux, toutes sortes de Dieux ; religions monothéistes ou rites païens, tout a été et de tout temps des occasions de semer la mort. – Maître Sisyphe l’ancien, comment est–ce là, où vous taillez votre pierre,dans ces grades autre que le mien ? Qu’y enseigne–t–on ? Quelles sont les paroles entendues ? Quels sont les mots à donner ? – Mon jeune Frère compagnon Sisyphe, à chaque pas, chaque étape de l’ascension, ses découvertes, sa connaissance à acquérir, son travail à accomplir. Tu verras ainsi et tes sœurs et frères avec toi, le chemin parcouru, ou qui reste encore à parcourir. Tu sais souvent on croit, de bonne foi, ou lorsque l’égo s’en mêle, que le bout du chemin est arrivé. Surtout au début de chaque nouvelle étape. Cela peut nous entraîner dans des chutes vertigineuses, heureusement les frères et les sœurs sont là, pour nous ramener à la réalité. D’ailleurs on retrouve de l’une à l’autre, des éléments déjà acquis depuis le jour de notre initiation. Des détails que l’on avait oubliés ou qui nous avaient échappés. Toujours selon Abdelghani RAHMANI : « Va vers les hauteurs, là où n’existent ni haut, ni bas » … Cela ne rappelle–t–il pas quelque chose ? Un de nos frères Maître, a travaillé sur ce sujet du mythe de Sisyphe. Il a écrit dans sa planche, en parlant de la répétition des Tenues, je le cite : « La répétition c’est un rythme, une périodicité, un temps se crée, une comparaison avec le passé…/Par les habitudes qui nous composent, il y a un besoin de créer une différence…/Si on regarde d’hier à aujourd’hui, je suis identique. Mais c’est invisible à l’échelle journalière, je crée une singularité. Chaque jour cette répétition est comme une puissance d’existence, une puissance de production, une puissance de variation, une métamorphose. Ce n’est pas un retour mais un processus de transformation, de composition. C’est invisible dans cet ensemble qui nous définit, il faut voir dans le détail et il n’y a qu’une recherche, une observation intérieure qui nous permet de nous en rendre compte, fin de citation ». – Oui Sisyphe l’ancien, cela me rappelle le texte fondateur d’Hermès Trismégiste, j’ai plaisir à y revenir et c’est une bonne occasion de le faire, à travers ce court extrait : « Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. Et cela pour réaliser le miracle d’une seule chose dont sont nées toutes choses par une opération toujours la même. Son père est le Soleil, sa mère la Lune, le Vent l’a portée dans son ventre, La Terre est sa nourrice. C’est ici le père des talismans du monde entier, sa force est entière. Il faut qu’elle soit transformée en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais, doucement et avec intelligence…etc. ». Dans ce texte on retrouve tant de matière à démêler, tant de réflexions peuvent être accomplies. Cela me paraît prodigieux mon frère Sisyphe l’ancien, que à plusieurs siècles de distance, le Trismégiste en son temps, ton ami poète Abdelghani aujourd’hui, puisse évoquer le haut et le bas, en nous disant certes de manières différentes, que haut et bas, bas et haut sont identiques. Ton ami poète Abdelghani est–il Maître ? – Mon jeune frère Sisyphe, je ne sais pas et en vérité cela n’a guère d’importance à mes yeux et à mon esprit. Il n’y a pas qu’un seul chemin pour accéder à la Lumière. C’est là, je crois que l’on peut parler d’Universalité. Le temps et l’espace distingués et rassemblés tout à la fois. Lorsque nous taillons tantôt avec succès, tantôt difficilement, notre pierre, ne démêlons–nous pas le subtil de l’épais ? – Maître Sisyphe l’ancien, séparer la terre du feu, le subtil de l’épais, doucement et avec intelligence, est–ce que cela veut dire que nous devons faire la différence entre ce qui important et ce qui ne l’est pas, c’est ce que vous avez écrit un jour dans nos échanges épistolaires, je vous cite : – « Un acte concret, palpable, épais, ouvert, doux… – C’est : un acte concret, par le temps qu’il t’a demandé. – Un acte palpable, par la sincérité qu’il dégage. – Un acte épais non pour sa grossièreté, mais parce qu’il donne de la consistance à ce qui nous lie. – Un acte ouvert, parce qu’il rouvre j’en suis sûr un cycle nouveau d’échanges ». Ainsi passe le temps initiatique, lentement presque de façon insignifiante.Pourtant la transformation est là. Notre transformation est visible avant tout aux yeux de nos Frères et de nos Sœurs. Nos impatiences, nos tempétueuses défaites nous rendent parfois totalement aveugles. Pour ce jour avant qu’il ne soit minuit, je dois séparer ma parole de vos écoutes. Il y a tant et tant de choses que j’aurai pu vous dire. Pour conclure provisoirement, nous sommes toutes et tous des Maîtres Sisyphe Universalistes,et nos bonheurs existent, petits, ronds et doux comme les perles d’un collier passé aux cous de nos mères, en voici un délivré par Jacques VIALLEBESSET : « J’HABITE UN LIEU… Debout je suis le gnomon de ma vie Une pierre levée entre terre et ciel Naître vivre mourir et renaître Pour devenir ce qu’au profond je suis Je regarde le monde tel qu’il est Et l’envisage tel qu’il devrait être Mon ombre ne fait d’ombre à personne Né de l’humus j’ai franchi la porte Qui fait papillon toute chrysalide J’habite un lieu qui n’existe pas encore Où j’imagine espère rêve et agis Dans la promesse de l’amour fraternel Bourgeon de l’instant porteur d’éternité Sous le dais d’azur parsemé d’étoiles Je respire du même souffle que mes frères ». Tout ce qui précède ne m’appartient plus. Emparez-vous seulement de ce que vous avez aimé, de ce qui vous a touché et poursuivons ensemble le chemin. Mes chers amis(es), si vous avez été jusque qu’ici au bout de ce chemin, soyez–en remerciés. Rémy Ducassé – 0643949281 et 0954590519. r.ducasse15081951@gmail.com http://ducasseremy.wixsite.com/erde-la-plume-libre erde-la-plume-libreover-blogcom.over-blog.com http://www.masharif.com/fr/ http://alaqwal.com https://www.scribay.com/author/1793609807/erde 2019-11-16 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet