Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :40– Les poèmes de Laurent Mourot-Faraut :40-5 :Ma vie à faire semblant…

Laurent Mourot-Faraut

 

Je suis venu te demander pardon,

Je sais que je ne peux plus rien faire,

Je peux seulement pleurer, maintenant,

Je voulais décrocher les étoiles,

J’ai passé mes heures de gloire à travailler,

Et j’ai oublié de te regarder,

Les meubles ne m’y faisaient pas penser,

Le luxe m’enivrait et l’alcool me grisait,

Je suis venu te demander pardon,

J’essaie de me déshabiller,

Mais je ne serais plus jamais nu,

Je n’ai même pas le souvenir de tes yeux,

J’essaie de te toucher, et de t’imaginer,

Mais cela me fait froid dans le dos,

De penser que tu es seule,

Sans doute comme tu l’as toujours été,

Les étoiles n’ont pas envie de me pardonner,

Et ce chemin je l’ai touché,

Sans jamais y avoir été, sans pouvoir le raconter,

Je viens de mettre une cravate pour t’accompagner,

Vers ce dernier chemin, vers là où la route s’arrête,

Mais je ne suis même pas beau,

Tous mes costumes sonnent froids,

Et toutes les pendules s’arrêtent,

Du temps qui passe jusqu’à celui qui s’arrête,

Je suis venu pour te demander pardon,

Je fume une dernière cigarette,

Puis j’en allume une autre,

Mais avec toi, il n’y a plus rien à faire,

J’ai réussi dans les affaires,

Les belles affaires, et je me roulais dans le fric,

Les belles choses à volonté,

Mais la plus belle c’était toi,

J’ai juste oublié de te regarder,

Puis aussi de t’aimer comme j’aurais dû t’aimer,

Ce soir la chambre est froide et mon sang est glacé,

Je regarde par la fenêtre,

Je regarde des ombres et j’imagine que c’est toi,

Je suis venu pour te demander pardon,

Ne m’en veux pas si je ne reste pas…

Mais tu le sais bien, il y a les affaires,

Le marbre rose à remplacer,

Que ferait la tour d’ivoire si elle était aveugle,

Je suis venu te demander pardon,

Tant pis si il n’y à plus personne,

Je pleure encore une fois, mais pas trop,

J’ai peur que cela me coute,

Le temps est passé, et moi je suis passé à côté…

 

Deux tiroirs  diamétralement opposés sont grand’ ouverts simultanément  dans l’âme du locuteur  que nous savons déjà  amoureuse: l’un se présente comme  un foyer de passion pérenne où l’image de la bien-aimée est toujours vivante (J’ai réussi dans les affaires, les belles affaires, et je me roulais dans le fric, les belles choses à volonté, mais la plus belle c’était toi ) et l’autre  , au contraire , est  pareil à une chambre froide où les sentiments à son égard sont complètement gelés (j’ai oublié de te regarder – je n’ai même pas le souvenir de tes yeux – j’essaie de te toucher, et de t’imaginer, mais cela me fait froid dans le dos ).Mais  c’est le second qui a eu , en fin de compte , le dessus sur son rival   en influant sur la décision finale  prise par le locuteur : la séparation . Néanmoins, ce discours , entaché de flagrantes contradictions , exige de notre part  une explication . Comment, en effet, délaisser, de son propre gré, un être cher tout en le reconnaissant comme tel et pour un motif superficiel : l’opulence matérielle que lui a rapportée sa réussite professionnelle ?  (J’ai passé mes heures de gloire à travailler – j’ai réussi dans les affaires, les belles affaires, et je me roulais dans le fric, les belles choses à volonté ).Le psychanalyste suisse  Carl Gustav Jung (1875 – 1961)nous répond sur ce point que l’homme moderne ,  en raison de l’état d’aliénation dans lequel il vit à l’égard  des tentations  les plus séduisantes  surtout  celles qui émanent des produits luxueux , des différents plaisirs raffinés et des aspects opulents  de la vie bourgeoise , s’est créé dans son âme une forte dissociation qui l’a doté de deux personnalités  contraires :  l’une encline vers les idéaux authentiques dont l’amour sain et l’autre entrainée malgré elle vers le gouffre des valeurs factices et dégradées dont parlait le philosophe hongrois Georg Lukacs (1885 -1971)  .

Sur le plan du style,  le  poème a toutes les caractéristiques  d’un discours articulé par un locuteur ivre ou en délire .Une fin bien triste mais  la sincérité  de ce locuteur et son courage  de  se dévêtir complètement devant le lecteur lui valent notre admiration.

 

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