Le grand poète tunisien Jaafar Majed et la mort par :Mohamed Salah Ben Amor

Jaafar Majed

Mongi Chemli

 

Un jour , en 2000, quelques semaines avant la fin de l’année universitaire, j’ai rencontré à El Menzah 6  feu le poète Jaafar Majed et feu notre professeur Mongi Chemli.

Jaafar, étant né en 1940, nous a fait savoir, à cette occasion, que dans peu de temps il sortira à la retraite. Je lui ai demandé, alors, pourquoi il n’a pas présenté au ministère de l’enseignement supérieur une demande de prolongation, comme c’était l’usage en cette période. Il me répondit : « Quelle image mes étudiants  diplômés  et chômeurs auraient-ils de moi si je faisais une chose pareille ? Jamais de la vie. Il faut laisser la place aux jeunes ! ».Notre professeur Mongi Chemli  intervint alors  pour dire qu’il y a un autre danger qui guette l’universitaire désireux de continuer à enseigner après la retraite : Il suffit qu’il ait un ennemi  ou un jaloux parmi les conseillés au palais présidentiel pour que sa demande soit refusée. Et il nous a raconté qu’il était lui-même victime de ce genre de  manigances lorsqu’on l’a empêché, contre son gré, de continuer à enseigner. Mais il écrivit au ministère une lettre dans laquelle il dit qu’il n’a rien à perdre de quitter l’université, parce qu’il est chef de la chaire de la littérature comparée au niveau arabe mais c’est l’université qui sera perdante après sa sortie .Ce qui amena les autorités  à lui accorder la prolongation qu’il demandait .Mais Jaafar lui dit que les circonstances aujourd’hui ( c’est-à-dire en 2000 ) ne sont plus les mêmes, car  il y a des centaines de diplômés en chômage et qu’à son avis il faut supprimer la dérogation de la prolongation ». Puis Jaafar dit : « Pourquoi continuerai-je à enseigner après l’âge de la retraite ? Combien me reste-t-il à vivre ? Au maximum quinze ans ! ».

– Les vies sont aux mains de Dieu, lui dis-je , tu pourras vivre même jusqu’à cent ans !

Notre professeur Mongi chemli intervint une deuxième fois pour dire que l’idée de la mort ne l’a jamais tracassé. Qu’il meure dans son lit ou d’un arrêt cardiaque en classe ou en pleine la rue, tout cela lui est complètement égal. Puisque nos âmes sont des dons de Dieu, il eut les reprendre quand il le veut, enchaîna-til.

Neuf ans plus tard et exactement en décembre 2009, je passais par hasard près de la libraire « Espace du Savoir » de Jaafar Majed dans le quartier de Bab Souika à Tunis quand j’eus l’idée de lui rendre visite pendant quelques minutes.

En cette période, on l’avait chargé de la fonction de coordinateur général des manifestations organisées à l’occasion de la désignation de Kairouan comme capitale de la culture islamique. Mais certains intellectuels de cette ville dont Jaafar était aussi natif avait récusé sa nomination  à la tête de cette mission, arguant qu’il réside à Tunis et que pour la bien remplir il faudrait nommer quelqu’un qui réside dans la ville.Et ce groupe de contestataires avait vite passé à l’attaque, en menant une campagne médiatique contre la nomination de Jaafar.

En entrant dans sa librairie, je l’ai trouvé , exactement comme je l’imaginais –  car je connaissais parfaitement son  extrême  sensibilité – très éprouvé par cette campagne. Et il s’empressa pour démentir les allégations de ses adversaires, en affirmant qu’il se déplaçait très fréquemment entre Tunis et Kairouan ,qu’il y avait sur place des gens compétents et de confiance avec lesquels il était tout le temps  en contact par téléphone et que les préparatifs pour ce grand rendez-vous culturel allaient très bon train. Mais ces détracteurs qu’ils connaissait très bien  le visaient personnellement ni plus ni moins.

Je lui ai remarqué avant de m’en aller qu’il était visiblement très fatigué et qu’il ne devrait penser avant tout à sa santé.

Dix jours plus tard, mon professeur Mohamed Yaalaui me téléphona pour me dire que  Jaafar a été hospitalisé et qu’il subira une intervention délicate.

Malheureusement, cette intervention ne réussit pas et Dieu l’a rappelé à ses côtés le 14 décembre 2009.

Même si d’autres raisons avaient été présentées pour expliquer cette mort subite, j’ai toujours eu la conviction qu’elle avait un lien avec la campagne médiatique dont il avait fait l’objet.

Le jour de l’inauguration de l’événement « Kairouan capitale de la culture islamique » en mars 2010, les écrivains et les intellectuels qui étaient présents n’avaient de pensée que pour Jaafar Majed qui était ce jour-lâ le plus grand absent.

Et c’est ainsi que Jaafar avait prédit juste en 2000 lorsqu’il avait dit qu’il lui restait à vivre quinze ans au maximum. Il n’avait vécu finalement que neuf ans !

Que Dieu  entoure Jaafar Majed d sa sainte miséricorde et pardonne à ses détracteurs

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