Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :32–Les poèmes de Mohammed Derkaoui : 32-7:L’estuaire

Mohammed Derkaoui

 

Les eaux me savent

Un univers sinueux

Une montagne de sable

Dont les traces s’effacent

À chaque fois

Que d’autres hommes passent

Par une angoisse, un rituel qui tracasse.

 

Les eaux m’accablent de déluge

Coulent au crépuscule

Comme une peur qui se défile

Derrière les collines

 

Et voilà les hommes sans profil

Dans cette toile

En peinture à l’eau me faisant signe

De relire ma dernière ligne

Avant d’interroger l’aquarelle

 

Des ombres intempestives

S’adulent

La gouache s’amincit

Orne les contours en sursis

Le pinceau habile

S’agite dans l’eau me regardant

De près puis de loin

Sous des angles aigus puis obtus

Les traits affinés

Est-ce une grâce

À la dernière imprudence ?

 

Je suis cette eau

Jusqu’à l’estuaire

Je suis l’eau m’ouvrant des itinéraires.

 

L’un des moyens les plus efficaces dont dispose le poète  pour créer l’effet esthétique recherché est le brouillement du sens global du poème ainsi que les sens partiels exprimés au niveau des strophes ou des vers ,que ce soit tout au long du texte ou pour décrire un état de tension avant de l’atténuer ou l’apaiser totalement afin de créer une surprise finale comme c’est le cas dans ce poème .Et le grand avantage de cette technique est de pousser le lecteur avisé à participer activement à l’élaboration du texte et à se libérer de  sa position de consommateur passif .

Pour atteindre cet objectif dans le poème ci-haut, l’auteur a abordé un thème profondément existentiel, celui du sentiment d’étrangeté que ressentent certaines personnes  non seulement à l’égard du monde  mais aussi par rapport à eux-mêmes. Cette méconnaissance de soi a engendré, par conséquent, dans ce texte , d’un côté, une angoisse extrêmement pesante mêlée d’appréhension et d’inquiétude  (une angoisse, un rituel qui tracasse –  une peur qui se défile derrière les collines – ombres intempestives s’adulent ) et de l’autre, une représentation de soi négative sous la forme d’un égo complexe et brumeux (les eaux me savent un univers sinueux une montagne de sable dont les traces s’effacent à chaque fois que d’autres hommes passent).

Sémiotiquement, le plus frappant, dans ce poème, est l’utilisation   des significations symboliques  de l’eau qui est normalement un élément vital de base dans un but négatif (  les eaux m’accablent de déluge coulent au crépuscule).Mais ce n’est, comme nous l’avons indiqué ci-haut,  qu’un subterfuge pour clotûrer  le texte par une fin lumineuse (je suis cette eau jusqu’à l’estuaire je suis l’eau m’ouvrant des itinéraires).En plus de cette technique principale , le poète a finement exploité les ressources poétiques qu’offre la langue de la peinture pour donner plus d’éclat à ses images .Une bonne mention Mohammed .Félicitations !

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