Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 26–Les poèmes de Gaëtan Parisi : 26 -26: Une page sans visage

Gaëtan Parisi

 

J’ai lu la pureté de ses vingt ans fragiles
Au delà des murs d’un premier regard
Elle avait un collier de perles d’argile
Et sur la peau, le sable bleu d’un frisson hagard
J’ai ressenti toutes les ondes
De la profondeur de son secret
Elle égrenait le chapelet
De ses rêves troublés
A la recherche des vagues blondes
D’un champ de blé
Elle mendiait des vers aux poètes
Pour s’inventer une histoire désuète
Écrire des serments
Masquer ses errements
Sur une page
Sans visage
J’ai lu son âme
J’ai vu voler les lettres de son prénom
En désordre
Tel le tourbillon
D’un vol de papillons
J’ai cherché un espoir d’étoiles
J’ai soulevé un voile
La dentelle du printemps sur l’orient
J’ai lu en lettres d’or
Le ciel de ses aurores
Où brille un soleil souriant
J’aspire à cette fièvre
Aux instants de ses lèvres
Pour fuir ce mirage
Cette page
Sans visage
Et vivre un avenir brûlant
Renouveler les parfums des matins blancs

 

L’image insolite prise comme titre pour ce poème( une page sans visage ) est une métaphore fondée sur la l’association entre deux éléments appartenant à deux champs lexicaux très éloignés l’un de l’autre : le papier et le corps humain .Ce dont a résulté une représentation abstraite qui ne peut être que symbolique ou inconsciente et qui exige donc de la part du lecteur un effort d’interprétation .

Cet objet mystérieux se caractérise, selon les dires du poète, par deux traits contradictoires : l’un étant attractif et l’autre rebutant. Partant de cette dualité, l’auteur a exploité à fond le trait attractif pour façonner son poème sous la forme d’un discours amoureux, étant donné que l’objet en question est féminin (une page sans visage ).Et cette exploitation s’est concrétisée sous trois formes différentes : l’énumération simultanée d’objets concrets ou abstraits qui appartiennent à la page et qui allient mystère, douceur et beauté (Elle avait un collier de perles d’argile/Et sur la peau, le sable bleu…- les ondes de la profondeur de son secret – J’ai vu voler les lettres de son prénom en désordre…- Le ciel de ses aurores/Où brille un soleil souriant ) et d’actes qu’elle accomplit et dont le dénominateur commun est l’irréel ( Elle égrenait le chapelet de ses rêves…- Elle mendiait des vers aux poètes… ).Quant au trait répulsif, bien qu’il ait été retardé jusqu’à l’ultime strophe, son effet s’est avéré être le plus fort et le plus déterminant puisqu’il a poussé le poète à s’éloigner de cette page sans visage (J’aspire à cette fièvre/ Aux instants de ses lèvres/Pour fuir/Ce mirage/ Cette page sans visage).Que peut-elle bien être donc cette page sans visage ? Symboliquement, la page blanche, en tant que support pour l’écriture, suscite un désir de communiquer contré par l’angoisse de l’incapacité de s’exprimer. Quant au qualitatif « sans visage », il évoque surtout l’anonymat et l’étrangeté. Et cette ambiguïté qui se poursuit jusqu’à la fin du poème constitue, sans aucun doute, la source principale de son attrait esthétique.

 

 

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