Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 28–Les poèmes de Najib Bendaoud : 28 -7 : Rêve perdu

Najib Bendaoud

Un froid dépravé ronge mes cieux 

Des sons débauchés érodent mon lieu 

Des mouches ivres endommagent mon verre 

Un vent malsain pervertit mon air 

Des feuilles mortes fêtent ma solitude 

La fumée de mes cigarettes m’encombre 

De rêves avortés 

Un froid immense vient loger 

Discrètement 

Ma chambre obscure

Un silence bavard me tient compagnie

Ce soir Excuse-moi Tulipe

Mes sentiments sentent le noir 

Dans leurs ventres Ils sont cons

Je le sais Mais ils sont vrais 

Comme mes montagnes d’en face

Ma main a le vide dans son âme

Mes pieds tremblent de ton absence

Où se sont enfuis les papillons 

Qui ornaient mon cœur ? 

Où se sont cachés les oiseaux 

De mon arbre voisin ?

Où sont les chants logeant mes espaces alléchants ?

Où sont partis les sourires 

De mon aube hallucinante ?

Tous les parfums se sont tus !

Toutes les musiques s’effondrent en douceur !

Toutes les joies se démantèlent ! 

Toutes les tulipes s’altèrent !

Et tous mes mots se ruinent ! 

A quoi bon d’attendre ce blanc du blanc !

A quoi bon d’aimer le silence de ton silence !

Le vide de ton vide !

Des nuits sans ta charmante voix !

 

Deux procédés principaux ont été mis en usage dans ce poème : d’un côté , il se prête aisément à la lecture recommandée par Nicolas Riffaterre  qui vise à dégager l’invariant du texte et les invariants à partir duquel ils ont été générés .Cet invariant ou noyau sémantique  est constitué ici de la notion d’agression  qui y a pris deux formes : une agression externe faisant opposer  un agresseur étranger  et un agressé intime,  lequel est  une partie de l’univers  du poète démesurément vaste ( cieux ) ou infiniment petite ( verre ) et une auto-agression dont le sujet/objet est aussi un élément de cet univers .Construit sur cette dualité, le poème se présente, du début jusqu’à sa fin, sous la forme d’une suite continue d’images puisées dans différents champs lexicaux mais reproduisant  toutes la même dichotomie .Il en est résulté, dans la première partie du poème, trois longs lexiques sémantiquement liés : agression/ agresseur /agressé. Des formes  d’acte d’agression externe dont a été victime l’univers du poète nous citons (ronger –éroder- endommager-pervertir- encombrer…) et  des aspects sous lesquels s’est manifesté l’agresseur  nous relevons  🙁 froid – sons débauchés- mouches ivres- vent malsain- feuilles mortes- fumée de mes cigarettes – silence bavard …).Et les  éléments agressés sont :  ( mes cieux – mon lieu – mon verre – mon air ) .Quant à l’auto-agression , elle a été pratiquée par des éléments du même univers comme suit : (les parfums se sont tus -les musiques s’effondrent – les joies se démantèlent – les tulipes s’altèrent  -mes mots se ruinent) .Néanmoins , toutes ces formes  d’agression ne sont qu’un alibi pour la mise en œuvre d’un deuxième procédé qui est l’amplification de l’état d’âme meurtri du poète à la suite d’une rupture amoureuse dont il a été victime et cette rupture se présente comme la cause directe de cet état .Ce qui fait que son report à la deuxième partie du texte après  l’exposition détaillée de ses effets  a pour but de créer  un suspense très prenant .

Un poème admirablement tissé par des fils sémantiques extrêmement fins .Ce qui n’est pas étrange de la part de ce poète qui se respecte en respectant toujours ses lecteurs.

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