Les entretiens de « Culminances » :4 – Avec la poète syrienne Qamar Sabri Al Jassim

Qamar Sabri Al Jassim

Qamar Sabri Al-jassIm est née à Homs ( Syrie) .Elle est licenciée en économie de l’université de Damas .Elle travaille dans le secteur de l’information .Elle écrit la poésie et la nouvelle. Le caractère le plus saillant de son expérience poétique est son orientation humaniste et existentielle, laquelle s’exprime à travers la description de situations embarrassantes dans lesquelles s’empiète l’âme humaine entre les mains inflexibles d’un destin impitoyable. Néanmoins, elle demeure solidement liée, comme chez tous les poètes syriens d’aujourd’hui, à la réalité arabe actuelle. Son style se distingue par l’accumulation des connotations et des images surprenantes et déroutantes.
Ses recueils de poèmes :

De petites feuilles éparpillées ,Editions de la lumière, Damas 2002 –Pour les chômeurs en espoir ,Damas 2004 – Des médailles sur la poitrine de ma tombe , l’union des écrivains arabes, Damas 2005 –Appel à la protection des mots ,Editions des vérités, Damas 2007.Vagues nues et quelque chose de ce genre, l’académie de la poésie ,Commission de la culture et du patrimoine d’Abou Dhabi, Abou Dhabi 2010 –Dès le souffle du premier mot ( choix de ses poèmes en arabe et en anglais ), association des écrivains jordaniens, collection « Poètes arabes contemporains »,Amman 2014 – Nouvelles poèmes très courts, commission de la direction des festivals et des programmes culturels et du patrimoine, Amman 2014 .Abou Dhabi 2014 –Démocrapoétique, Editions des espaces, Amman 2014.

Question 1 :

Questions de la revue « Culminances » à la poète syrienne Qamar Sabri Al Jassem

Question 1 :  Ce que les Américains ont appelé « printemps arabe » a causé jusqu’ici la destruction de trois pays arabes (la Lybie, la Syrie et le Yémen) , l’achèvement de la destruction d’un quatrième :l’Irak et l’écroulement des économies de plusieurs autres pays arabes (la Tunisie, l’Egypte, le Liban …).Mais ce tableau noir n’a eu semble-t-il aucun effet négatif sur la poésie arabe qui fait figure d’une poésie prospère du golfe araba jusqu’à l’océan atlantique .Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Qamar Sabri Al Jassim : Dans mon premier recueil intitulé Aux chômeurs d’espoir paru en 2004, j’avais écrit des poèmes qui présageaient ce qui se passera dans ce deuxième millénaire dont l’un que j’avais titré par « au prochain millénaire pour la mémoire ». D’autres poètes ont écrit aussi et écrivent encore dans tous les divers genres de poésie et si ce que nous écrivons avait l’impact des mass médias, le résultat aurait été différent. Mais la poésie de nos jours n’est plus le « diwan des Aabes » et ce sont les médias qui lui ont usurpé ce rôle. Par ailleurs, il me faut louer tes efforts pour avoir fait parvenir nos écrits endoloris au monde entier.


 Question 2 :On remarque que les relations entre les poètes arabes se sont détériorés au cours des dernières années à cause des divergences entre leurs attitudes à l’égard du « printemps arabe » .En effet, si certains d’entre le défendent, d’autres le dénoncent, , une troisième catégorie l’accuse , une quatrième rejette catégoriquement toutes ces prises de position réunies …Ne pensez-vous pas que cette situation tendue est de nature à embrouiller encore plus le présent et l’avenir de la littérature arabe surtout qu’elle n’est qu’un élément extérieur par rapport à l’acte d’écrire n’émane pasde la souffrance qu’éprouve le poète pendant la création?

Qamar Sabri Al Jassim : Ce que vous venez de dire donne une preuve irréfutable que l’intellectuel arabe agit envers autrui avec un esprit dictatorial parce que la revendication de la liberté signifie le respect de la liberté d’opinion des autres. Chacun de nous est devenu un despote qui confisque les opinions des autres , les traite de traîtres et applique sur eux la loi d’urgence si leurs avis ne concordent pas avec le sien. Cette tension n’embrouille pas seulement le paysage littéraire mais anéantit l’estime entre les gens de plume alors qu’elle est le nerf vital de l’existence.Le sel fait d’envisager la production littéraire sous l’angle de l’appartenance politique, la communauté, la couleur de la peau , la race de son auteur ou même son sexe (homme ou femme) ainsi que tout autre élément externe à l’acte d’écrire est de nature à influer négativement sur les relations entre les écrivains à un degré encore plus grave que celui de l’embrouillage.


 Question 3 :Depuis le déclenchement de la guerre, les poètes syriens se répartissent globalement sur trois grandes catégories : les poètes qui ont demeuré à l’intérieur du pays, ceux qui les ont quitté vers d’autres pays arabes et ceux enfin qui se sont réfugiés hors du monde arabe. Ma question vous concerne spécialement puisque vous résidez en Egypte : quel regard portez-vous ie à partir d’un autre pays arabe sur la réalité de guerre en Syrie et cette position a-t-elle eu un effet quelconque sur votre poésie ?

Qamar Sabri Al Jassim : Cette dispersion en soi me fait mal. Je regarde la patrie arabe avec un cœur endolori. Nos livres et nos écrits voyagent à présent à travers le monde et les foires de livres, tandis que nous, nous demeurons sous le coup du visa et dépendants de l’accord des ambassades .La guerre, c’est la guerre et ses effets se sont manifestés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Tout le monde en souffre et tout un chacun a perdu une maison, des personnes chères, des souvenirs…tout le monde vit au rythme de l’inconnu. Et tout ce qui se passe influe sur les articulations
de notre vie entière. Et vu que l’écriture est l’âme même de l’écrivain, c’est elle qui subit bien entendu le plus d’influence .Et en somme, je ne peux que regarder l’avenir avec optimisme, parce que la Syrie a une longue histoire et une civilisation et elle doit se relever toute orgueilleuse comme elle le mérite et comme le méritent son histoire et sa civilisation !.


 Question  4 :Dernièrement, vous avez effectué une courte visite en Syrie .Comment avez-vus trouvé l’ambiance qui règne dans le milieu poétique local après quelques années d’absence? Et avez-vous pu vous y trouver surtout après l’émergence d’une nouvelle élite assez nombreuse de poètes qui écrivent avec des styles différents de ceux de votre génération?

Qamar Sabri Al Jassim : J’ai perdu plusieurs amis en Syrie mais l’ambiance poétique générale n’a pas changé. Quant à mon éventuelle adaptation avec cette nouvelle ambiance, ma visite n’était pas longue au point où j’ai senti comme si je rêvais.

Question 5: Vous aviez perdu il y a quelque temps votre chère mère dont la présence était très forte dans votre poésie. Comment vous prenez-vous avec ce vide qu’elle a laissé dans votre vie ?

Qamar Sabri Al Jassim :Je ne sais pas jusqu’à maintenant comment m’y prendre avec ce vide. Tout le temps ? J’adresse la parole à ma mère. Elle me tient compagnie à chaque soupir et a chaque geste. Chaque vendredi, je rends visite à sa tombe et elle est encore présente dans tous les détails de ma vie. Je lui parle comme si elle était devant moi à propos des détails de tout ce qui m’arrive comme j’avais l’habitude de faire . Oh ! Comme j’ai envie de la serrer dans mes bras et de la sentir ! Et chaque fois que je m’endors en pleurs en lui disant « J’ai envie de me blottir dans ton giron !» , elle apparaît dans mes rêves..La vie en l’absence de ma mère est lugubre !


Question 6  :En général, un poète arabe qui réside dans un autre pays arabe ne se sent pas dépaysé. Mais, par contre, si sa famille et ses siens sont soumis directement aux affres de la guerre que ressent-t-il d’après votre expérience personnelle ?

Qamar Sabri Al-Jassim : Bien entendu tous les genres de souffrances, en plus du peu de moyens dont nous disposons pour agir. Et avec les souffrances dont nous pâtissons, comme ces mots  que j’entends de plus en plus me chagrinent tels que « Un tel a trépassé »au lieu de dire « Que Dieu l’entoure de sa sainte miséricorde ! » à l’occasion du décès de quelqu’un et « Que Dieu le prenne ! » en guise de «  Que Dieu le guérisse ! » lorsque quelqu’un tombe malade .Oh mon Dieu, à quel point sommes-nous  tombés si bas…au bas-fond de l’humanité ! D’autre part, j’ai beaucoup de la peine pour les personnes âges parce que j’ai vu combien  ma mère- Que Dieu  l’entoure de sa sainte miséricorde !  » a souffert pour avoir quitté la demeure de sa vie et aussi parce que les personnes âgées n’ont plus de force pour se déplacer d’un pays à un autre et d’une maison à une autre. Je me souviens quand nous avions quitté notre maison, elle souhaitait s’il lui était possible d’emporter avec elle la maison qu’elle avait construite brique par brique, ses meubles qu’elle avait achetés avec les économies de sa vie et ses enfants qui s’étaient dispersés. Elle récitait des poèmes en pleurant : dont « Mon pays, même s’il me tyrannise, est cher ! »ou  « Telle une oiselle dans la main d’un enfant/Elle frôle la mort et l’enfant joue avec elle »et disait que ce poème exprimait bien  son état. Je suis triste aussi pour les enfants qui ne peuvent même pas rêver d’aller à l’école   etc.…La tristesse est devenue une maison dans laquelle nous habitons mais sans toit !

Question  7 :Vous lisez dans cet espace depuis  quelques années plusieurs poèmes traduits de la langue française en arabe écrits originellement par des auteurs provenant des cinq continents. Constatez-vous des différences entre ce qu’écrivent ces poètes et les écrits des poètes arabes ?

Qamar Sabri Al-Jassim : Je n’ai pas trouvé une grande différence, surtout dans les poèmes abordant les thèmes de l’amour, de l’envie ardente, des souhaits, de la musique, de la tristesse, de la joie …qui sont communs aux humains, à part peut-être  la souffrance  qu’éprouve la femme dans les pays arabes en face des affres de l’éloignement et de la guerre.

Question 8 :Les attitudes des poètes divergent vis-à-vis de la poésie partagée sur facebook .Quel est votre avis sur ce phénomène ?

Qamar Sabri Al-Jassim : Il me suffit de citer ce que vous faîtes mon professeur sur facebook et les livres que vous avez édités et dans lesquels vous avez unifié les poètes du monde .Nous avons ainsi dépassé le rêve de l’unité arabe et prouvé que c’est le mot qui réalise la paix , c’est lui qui permet de faire face à toutes les armes destructrices .Et à l’opposé de cela, il y a de mauvais cas  et des écrits  bien diffusés sans qu’ils le méritent. Mais laissons-nous regarder le moitié pleine du verre !

 Question 9  :Le monde est dominé aujourd’hui par les grandes puissances et les multinationales dont l’unique but est de servir leur intérêt même en marchant sur les cadavres des peuples s’il le faut . Dans un tel contexte, les poètes ont-il un rôle à jouer?

Qamar Sabri Al-Jassim :Si la poésie redevient le diwan des Arabes , si sa diffusion égale celle de la chanson et des feuilletons turcs et mexicains et si  on lui accorde une place pareille à celle qu’on accorde  à la guerre informationnelle et culturelle , elle pourra  ainsi que les poètes jouer un grand rôle. Et si  également les écrivains en général et non seulement les poètes écrivent sur les sujets importants  et s’évertuent à appeler à la paix  et l’amitié et  rejeter tout ce qui divise les gens…Et c’est là où  réside le poème !

Question 10 :  Quels sont vos projets proches et lointains ?

Qamar Sabri Al-Jassim :Jai beaucoup de projets reportés, car je suis encore en état de perteet  je n’ai pas cessé de sentir le vertige, de l’envie ardente et les pleurs. J’émets le vœu de rester encore quelque temps  en vie pour en réaliser quelques uns !