Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :3 – Les poèmes et les récits de de Patricia Laranco :3-4: L’incomplétude de tout

Patricia Laranco

 

Ah, l’incomplétude de tout, le parcellaire inachevé qui freine tout autour de nous chaque objet, chaque processus ! Cet état de manque larvé de demande de complément implicite, qui suinte, sourd de chaque morceau de réel ! Il faut toujours choisir, opter, exclure, en mettant en avant l’arbre qui cache la forêt, la partie, l’enclos, le détail ; on passe toujours à côté du mystérieux besoin de lien. On oublie, quelque soit le cas combien les séparations sont signes de mutilation, combien ce que nous percevons – y compris nous-mêmes – est, en fait, ouvert, imparfait, suppliant, conscient de sa nécessité de s’encastrer dans le restant du total, du bloc d’existence.

 

L’idée d’incomplétude est ancienne et très évidente .Schopenhauer n’a-t-il pas expliqué la notion de dieu chez les peuples primitifs par leur faiblesse devant les forces de la nature ? Et c’est ainsi que l’idée de l’existence du dieu de la mer s’est dissipée dès l’apparition des navires à moteurs .Il est allé même  jusqu’à   supposer que l’image divine que s’est forgée l’homme au cours de sa longue histoire n’est que la projection de  sa propre  image  dans le  futur, c.à.d l’image   laquelle il  aspire  et qu’il s’efforce  de réaliser  par le progrès technique, ce qui résumerait donc sa longue histoire en un combat acharné contre son incomplétude .

Du point de vue psychanalytique , la sensation  de déficience qu’éprouve l’individu normal non-atteint de paranoïa est due à la  précarité du Moi  et à son incapacité de contenir l’assaut des forces négatives que le ça exerce  sur lui  .Toutefois et  en tout état de cause, cette faiblesse ne constitue-t -elle pas  en soi l’aspect le plus  splendide dans la nature humaine,  du fait que c’est grâce à elle  que l’homme se surpasse  continuellement pour accéder  à des  degrés toujours  plus hauts dans l’échelle de  la plénitude ? Et si l’homme était complet, sa vie ne perdrait-elle pas tout charme puisqu’elle serait dénuée de toute lutte et stagnerait dans la platitude et la monotonie ?

 

 

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