Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 2 – Les poèmes d’Alain Minod :2-15 : Paris

Alain Minod

 

Quand les marronniers roussissant sourient
A l’ivre circulation sur le fleuve de la place
Ma ville s’abreuve de son ciel gris

Mais les voix ici rayonnent et déglacent
De leurs conversations qui rient
Un soleil qui furtivement
Lance un éclat
D’ange

Et je confonds ma joie qui ne ment
Avec cet univers inconnu
Que danse – décisif –
Mon courage
Qui s’épanche dans ma main
Hésitante et nue
Même si
Ainsi
Se fabrique une écriture de dilettante

Et ma musique se dégage
Des pas hâtifs
Exténués
De ratures

J’entends danser les gammes
D’une femme tendre
Qui sourit à
Mes vers –
Me lançant ainsi au travers
Du ventre de
Paris
Sous les cendres des nuées

Et je renais encore
Avec des mots de corps et de chair
Qui portent ma peau
A l’incandescence
D’un cher amour
D’aventure
Tenue au
Futur

L’automne est tiède
Mon étonnement cède
A la nature et ses tropes
Où m’emportent
Les veines
De fleurs lointaines
Me poussant
Au seuil
Du ciel
Au cœur d’une trouée d’azur
Roué d’infini
En sang

L’heure est sableuse
Elle coule – hâle et enchaîne
Une houle de petits
Bonheurs
Qui sont des opales
Aux passades
Lumineuses
Qui creusent mon cœur parmi
La foule des
Passants

Ö Vénérable Paris ! Suis-je indécent ?
Ne suis-je pas trop hâbleur
A taire les voix
Qui – dans leur concert
Devraient me rendre
Moins disert

Ah ! Laisser vibrer la soie
Comme d’un sari enjôleur
Se plisser sur les cuisses
D’une reine comme d’Alice
Chantant les venues des dieux
A son éden hanté par
Un aède capricieux
Qui voudrait
Tenter
D’accueillir avec le désir
Les soleils des banlieues !…

O Rince tes yeux et tes oreilles
Rince le grand Paris
Jusque dans
La veille
Et que ton cri modulé
Ne soit plus esseulé
Que la reine
S’essaye encore au soleil

Pour notre rêne ainsi

Désillée

 
Ce poème fortement centré sur le « Je » (ma ville – je confonds – ma joie – Mon courage – ma main – ma musique – J’entends – Mes vers – me lançant- je renais – mon étonnement -m’emportent- me poussant – mon cœur – suis-je indécent ? – ne suis-je pas trop hâbleur – me rendre moins désert …) nous révèle, pour la première fois chez son auteur qui nous paraissait souvent mal à l’aise dans l’espace urbain , un moi équilibré et euphorique, en accord total avec son environnement immédiat (Ma ville – Paris : citée deux fois) ainsi qu’avec l’univers ( L’automne est tiède/ Mon étonnement cède/ A la nature et ses tropes/ Où m’emportent/Les veines/ De fleurs lointaines/ Me poussant/Au seuil/ Du ciel/ Au cœur d’une trouée d’azur/Roué d’infini).Ce qui en fait un personnage lyrique au sens où l’entend Georg Lukács (1885 – 1971). Et ce lyrisme s’exprime à travers le poème de deux manières qui se complètent l’une l’autre : la fierté d’appartenir à ce milieu et le bonheur d’y vivre (Une houle de petits/Bonheurs/ Qui sont des opales / Aux passades/ Lumineuses /Qui creusent mon cœur parmi/ La foule des /Passants) et le plaisir de s’adonner à l’écriture poétique (J’entends danser les gammes / D’une femme tendre/ Qui sourit à/ Mes vers – Me lançant ainsi au travers/ Du ventre de Paris – Mon courage/ Qui s’épanche dans ma main/ Hésitante et nue/ Même si /Ainsi /Se fabrique une écriture de dilettante).

Ainsi nous sommes très loin de ce que ressentait Paul Verlaine (1844-1896) dans cette même ville et dont il a fait état dans son fameux poème « Les Embarras de Paris »:

Tout conspire à la fois à troubler mon repos,

Et je me plains ici du moindre de mes maux :

Car à peine les coqs, commençant leur ramage

Auront de cris aigus frappés le voisinage

Mais bien notre poète ne nous ait pas habitués à ce genre d’état d’âme, cela ne doit nullement nous étonner, car l’attachement au territoire demeure une constante instinctive chez tous les individus. Et le plus important chez tout vrai poète est la constance de  son style d’écriture, car c’est là où réside sa singularité. Ce qui s’applique pleinement à ce poète dont le style est  basé, dans tous ses écrits sans exception,  sur l’accumulation des connotations et des sens symboliques presque au niveau de chaque vocable. Ce qui constitue une véritable source d’attrait pour les assoiffés de belle poésie !

 

 

 

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