Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :3 – Les poèmes et les récits de de Patricia Laranco :3-2 : Ce nomade

Patricia Laranco

 

Ce nomade

 
Tout est perdu.

Rien n’a été.

Rien n’est véritablement sûr.

Tout se noie dans une brume incertaine,

Une brume de tourbière.

Si tant est que quelque chose COMPTE,

Seul compte le pur instant présent,

Ce pur instant présent qui-ironie-

Est pure dissolution, pure fuite, trahison assurée.

Qu’emmagasinons-nous en nous ?

Des souvenirs immatériels qui se déforment,

Et dont les cadavres, eux aussi,

Le temps aidant, se décomposent.

Des instants qui se précipitent, se ruent

Sur nous et traversent nos chairs.

Des errances d’ombres sans matérialité,

De marionnettes qui tournent en rond,

Se promènent dans un espace où rien ne tire leurs fils,

Ni ne leur montre la direction précise.

Des sentiments persistants d’irréalité, d’absurdité.

Qui nous tiraillent au fur et à mesure

Que nous glissons sur cette planche savonneuse,

Huileuse qu’est le monde, ce nomade.

 

Ce poème gravite autour de l’éternelle  question problématique sur la  véritable nature de l’être humain  et la part de ce qui  y est substantiel donc constant et ce qui est accidentel ou passager . Cette dualité est liée ,  comme le mentionne la poétesse clairement tout au long du texte,  avec la notion du temps  ,  car la vie n’est qu’une traversée  forcée d’un parcours temporel totalement inconnu   à l’individu au cours de laquelle la conscience ne saisit le vrai réel vécu qu’au moment infiniment court qu’on appelle le présent qui se trouve happé continuellement et instantanément par ce que l’on nomme  le passé . Heureusement , le besoin de s’adapter  aux contraintes qui lui sont imposées par le milieu environnant  a  doté le  dispositif cognitif  de l’être humain  d’une faculté qui lui permet de  conserver l’essentiel de son expérience : la mémoire . Mais cette mémoire peuplée de souvenirs qui ne sont pas tous clairs ou heureux ou utiles a  plutôt l’aspect d’un gouffre au fond duquel se bousculent  des débris insaisissables et inquiétants d’images de ce que l’on a vécu auparavant .Et la question cruciale qui tourmente l’auteure dans ce contexte-ci  est justement la suivante  : ce fonds mémorial inconstant brumeux et fugitif fait-il partie de notre être  comme l’affirme Freud et ses adeptes ou n’est-il en fin de compte qu’une illusion ? Un texte  très profond  et extrêmement condensé  alliant la réflexion philosophique à  l’attrait esthétique .

 

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