Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 2 – Les poèmes d’Alain Minod : 2 – 11: Outils magiques de la pensée poétique

Alain Minod

 

Tue-mouche pour faire disparaître

L’idée noire qui colle à la tête

 

Filet à papillons pour attraper

Les idées-fleurs qui volettent

 

Ruche à miel pour canaliser

Les idées-désir qui piquent

 

Maison à oiseaux ouverte

Pour apprivoiser les idées

D’errance sauvage

 

Niche à chien pour amadouer

Les idées de territoire

 

Havre d’île en ville pour accueillir

Les idées étranges

 

Plumeau pour dépoussiérer

Les idées anciennes

 

Arc-en-ciel au panel des couleurs

Pour arrêter peur et monotonie

 

Marionnettes articulées pour réduire

Les idées moutonnières de violence

 

Miroir aux mille facettes pour faire s’y mirer

Les idées de solitude

 

Vases communicants qui chantent

Contre les idées d’angoisse

 

Fontaine qui enraye l’idée

D’un temps haché par la vitesse

 

Eprouvettes pour chimie

Des idées profondes

 

Eau sulfureuse pour brûler

L’idée indigérable

 

« Téléphone arabe »

Pour lier les idées de rumeur

Et morse pour les recomposer claires

 

Rossignol – chouette – hibou – coucou

Pour psalmodier la veille

Aux idées sommeillantes

 

Merle – bergeronnette – mésange

Pour chanter les variations incontrôlables

Des idées

 

Et … Ouvrir la cage aux oiseaux

Pour sentir l’idée de l’envol

 

Ouvrir un palais aux poèmes

Pour les laisser moduler

Tous les chants

Même ceux du

Désespoir

 

La pensée pour libeller

Les idées fortes dans

Lettres et livres …

Un corps à soi

Livré à cette

Pensée

Pour

Chanter – juste – :

Les causes du monde

 

 

Comme nous l’avons écrit maintes fois dans nos commentaires sur la poésie, nous choisissons les poèmes que nous étudions selon les deux critères de la qualité et de la singularité  et non de l’appartenance de leurs auteur(e)s à des tendances  bien déterminées , d’où  l’extrême diversité des écrits que nous avons analysés au cours de notre parcours de critique littéraire aussi bien au niveau du style que celui des préoccupations des auteur ( e )s . Avec Alain Minod, nous avons affaire à  une  conception très particulière de l’écriture poétique sur  laquelle il nous fournit  dans ce poème-manifeste beaucoup d’éclaircissements . Ce terme d’ « écriture » qu’il tient à placer dans un surtitre en majuscules  toujours présent au dessus de ses poèmes: « ÉCRITURE ET POÉSIE » a été , utilisé pour la première fois en France à la fin des années soixante par le groupe avant-gardiste TEL QUEL  sous la houlette de Philippe Sollers que  nous avions  eu l’honneur de rencontrer en 1971 à Paris  puis en 1974 à Tunis,  désigne une pratique langagière qui fait  exploser les charges connotatives et symboliques recélées dans la langue, indépendamment des intentions des  utilisateurs . Et pour y arriver, il faut débarrasser l’expression des sens communs  qui l’encombrent et la tiennent prisonnière des automatismes de réflexion dépourvus de créativité et d’imagination . Ce qui  exige de la part de l’écrivain une recherche extrêmement laborieuse et très fine qui ne laisse rien au hasard  , comme on le voit dans ce poème  qui essaie de grouper dans un espace très restreint toutes  les idées potentielles qui pourraient naître dans l’esprit du créateur et lui offrent l’occasion , séparément ou conjointement par deux ou plus , de générer la texture de son œuvre . Un autre procédé non moins ingénieux a été mis en œuvre pour rendre compte de  la diversité des actions adaptées à chaque cas que  le créateur accomplit  dans le traitement , à des fins esthétiques , de ces idées : la métaphorisation massive des moyens  dont il use à cet effet . Et le résultat final  est un édifice à ossature binaire constitué de deux grands paradigmes : les idées d’un côté  et les moyens de les exprimer poétiquement de l’autre. Un poème expérimental de haute facture  répondant admirablement aux principes qui régissent le genre auquel il  appartient.

 

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