Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 2 – Les poèmes d’Alain Minod : 2 -9- La peau du ciel urbain

Alain Minod

Le froid  –  ce fer blanc

Dans nos chairs endurcies

Colle à la peau du ciel

 

L’aurore pliera-t-elle avec lui ?

Elle vient poudroyer de chaux

Le noir voile des toits

Alors le froid

S’allège

Sur ces biseaux de la pierre …

 

C’est  miel aux pigeons

C’est tourte d’azur sur les dents friandes

Où se serrent les murs

De notre ville

Frissonnante

 

Revenus du silence

Où nous avait plongés la nuit

Nous remontons la rumeur fauve

A la barbe des nuages

Indécis 

 

Nous plumons ce qui reste

Des ailes d’anges de l’aube où planait

La courbe descendante

De nos songes

 

Indécidable est ce temps de la vacance

Et d’une interminable lenteur

Est l’allure du soleil

Pour sortir sur

L’avenue

Il cligne de ses yeux de velours or

Comme en des spasmes

Entre ses paupières

 

Mon chien d’encre court à sa volée

Quand il le capte entrain

D’incendier les deux

Seuls arbres

Dénudés

 

On le voit maintenant

Canonner ses éclats sur la vitre

Mais – lâchement –

Sur la place encore inconquise –

Les nuées frisent en

Filet d’ombres

 

Alors le roi fait son travail :

Il les plombe sur

La Marianne

Eveillée

 

Dure république du dimanche

Où valsent tous les cortèges de cour

Dans un ciel abandonné par

Le paradis

 

D’ailleurs … : Quelque misère

Aux lèvres des avenues

Chuchote comme

Des injures

Contre

Ce temps litigieux

 

Ici un chant informe

Insulte le silence qui buvait à la bolée

Le lait frais coulant de l’horizon

 

Tout a blanchi et les cordes du soleil

Sont déjà usées par

Les manèges

De cour

 

Il n’y a plus de roi

Mais qui l’attendait ?

Les nuées sont à vif

Elles ont conquis

Le pauvre Eden

Et c’est

La ville abandonnée

Au lointain encore étincelant

 

Pourtant le bruit court

Que le chaos réglé des fauves automobiles –

S’étant estompé de la république

Du dimanche –

L’horizon serait à prendre

Dans l’hiver proche …

Enfin … Peut-être

Est-ce mon

Chien d’encre

Qui me souffle

Cette rumeur

Tombée d’une égale grisaille

 

Nous voici encore une fois devant un texte poétique d’un auteur acquis aux idées novatrices de l’avant-garde littéraire française basées sur le principe de l’expérimentation qui consiste à écrire des vers ou des  textes narratifs ou théâtraux en l’absence de tout modèle,   par  l’éclatement des règles traditionnelles, l’abolition des frontières entre les genres, les arts  et les écoles  et la multiplication des stratégies de l’écriture et des angles de perspective. Ce qui se constate clairement dans ce long poème placé sous le surtitre” Écriture et poésie  ”  et où  l’idée maîtresse qui a présidé sa conception  est la notion de réification ( ou chosification ) née de la sensation de déshumanisation de l’Homme dans un environnement urbain de plus en plus congestionné et étouffant. Partant de ce noyau sémantique bien déterminé et dans le cadre de sa propre ville, Paris ,le poète a généré une multitude d’images qui se distribuent sur deux axes sémantiques principaux formant une dualité charnière :  contrariant / contrarié  dont le premier terme englobe tous les gènes et toutes les incommodités occasionnés par le milieu urbain à ses habitants tel que le ressent le poète et le second les sensations désagréables éprouvées suite à ces contraintes .En plus de cette grande division opérée dans l’ensemble du  texte , le terme “contrariant” a été conçu lui aussi sous la forme d’une dualité : nature dominée /artificialité dominante , connotant l’inefficacité de l’action des éléments naturels ( soleil, aube …) sur  l’inertie, l’exigüité  et  l’immobilité de l’espace urbain engendrées par l’extension du béton .L’ensemble de ces images donnent de la ville et de la vie qui y est menée une vision glaçante .

Côté style, ce poème vaut surtout par ses flots d’images, pour le plupart inédites, générées les unes des autres et qui se suivent à un rythme effréné tout au long du texte ,ce qui en dit long sur les capacités imaginations de ce poète .

 

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