Poème du jour (Nouvelle série) 1 :Les corvéables par : Mohammed Derkaoui – Fès- Maroc 21 octobre 2017 Mohammed Derkaoui Père ! Hier j’ai fait un rêve J’ai réveillé ma mère En pleine nuit Je pleurais sans cesse Elle m’a dorloté M’a allaité M’a préparé une tisane parfumée Ayant tout essayé Elle a fini par me mettre sur son dos Serrer avec un petit drap de coton Elle a marché dans toute la maison En me chantant Mille chansons Dors mon enfant Dors Il fait tard Ton père ne peut manquer à son devoir Il est parti loin Pour lutter contre la faim On lui a promis que c’était pour ton bien Un jour Il viendra la tête haute Fier de s’être sacrifié pour les autres Fatigué des cris et des pleurs J’ai fini par fermer les yeux Ma mère n’a pas cessé de faire la balançoire L’aube se déclare Elle entre dans sa cuisine Préparer le thé à mes frères et sœurs Soudain une voix grave Me rappelle l’heure du labeur Mon père à ma cheville En train de tousser S’approche de mes traits Les caresse avec prudence S’assure que je suis réveillé Reprend sa canne blanche A peine il marche S’approche de ma mère Au dos voûté A force de nous supporter Cherche son front à tâtons L’embrasse tendrement Se retire dans un coin chaud S’accroupit La canne sous le menton Se délecte de l’odeur de son henné Du son de ses pas De plus en plus ralentis Un transistor à la main Les paupières mi-closes Les nouvelles s’annoncent Il laisse échapper un sourire En semblant s’assoupir. Commentaire de Mohamed Salah Ben Amor : Si le titre de ce poème « les corvéables »exprime de la compassion à l’égard de la mère et du père, eu égard aux les sacrifices énormes qu’ils consentent pour le bien de leurs enfants, le fait que le contenu soit un rêve pousse le lecteur à chercher dans les structures profondes les sens non-dits, étant donné que tout rêve contient obligatoirement des symboles archétypaux inconscients. Rares sont les rêves où le père est présent et encore moins où il est présent avec la mère. Et cela s’expliquerait par le fait que la mère représente dans l’inconscient collectif « le paradis perdu »et l’individu, même à un âge avancé, tend à s’y réfugier chaque fois que les écueils se multiplient sur son chemin et entravent sa marche, comme on le voit dans ce poème où le locuteur est plongé dans un cauchemar qui ne serait qu’une représentation imagée d’une situation réelle intenable. Pour cette raison, la première partie du poème qui s’étend sur dix-neuf vers (à part le premier vers qui renvoie à un état d’éveil ) est conforme à la règle, car d’un côté, le père est absent (Ton père ne peut/manquer à son devoir/Il est parti loin) et de l’autre la mère s’investit à faire sortir le locuteur de cette crise en lui apportant toutes les ressources physiques (l’allaite – me mettre sur son dos/Serrer avec un petit drap de coton… ) et psychologiques ( l’amour, la tendresse , le réconfort… ) qu’elle possède .Et elle y est, à ce qu’il paraît, arrivée, car l’apparition inattendue du père au summum de la crise (Fatigué des cris et des pleurs/J’ai fini par fermer les yeux -….. Soudain une voix grave/Me rappelle l’heure du labeur/Mon père à ma cheville) indiquerait que l’enfant, une fois rassuré sur son présent ,se permet de se préoccuper de son avenir, étant donné que le père symbolise pour l’enfant le modèle à suivre pour affronter les obstacles qui se dressent sur son chemin d et s’ouvrir les horizons de la réussite. Stylistiquement, la conception symbolique et allégorique du poème lui a conféré un aspect énigmatique qui invite le récepteur à participer activement à l’élaboration du texte au moyen de l’interprétation et de la lecture entre les lignes. 2017-10-21 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet