J’ai décidé de valser cette nuit avec mes mots sveltes !par : Hassan Oumouloud -Agadir – Maroc

Hassan Oumouloud

 

J’ai enfin trouvé comment dire les choses ! Enfin, je l’espère . Lors de toutes mes insomnies j’ai souffert, mais j’ai découvert que ma souffrance n’est rien d’autre que ce me dictaient ma raison lassée, mon esprit sans repos et mon corps cherchant dans le vide sa part de délice. Cette recherche vaine torturait ma conscience. J’ai pris donc le parti de dire ce que mes insomnies me disent. Ce ne sont plus des moments de souffrance, ce sont mon purgatoire préféré. Ma compagne de plaisir, le sommeil du sommeil, le temps perdu dans le temps, et l’espace sans feu ni demeure . Je me tiendrai dorénavant coi jusqu’à ce que le sommeil passe de côté comme un monstre et je plongerai dans le pays de la langue sans frontières, sans visa, sans règles, sans identité . Je peindrai l’instant de mon instant sans histoire. Ce joli petit être respirant l’espoir. Je le rencontre chaque nuit blanche comme ma muse, cet instant pur, fin, accueillant, tolérant, qui se force de demeurer plus longtemps pour le plaisir du dialogue, de l’échange consolant, pour le plaisir de combattre la fatigue. Il est là, mon ami Instant, constant. Je lui donne cette majuscule de majesté, de reconnaissance puisqu’il n’y a que les bonnes âmes qui se reconnaissent. Je ne parle pas comme Bergson, je n’aime pas le faire car je ne peux pas le faire. Je n’aime pas ce que je ne peux pas mais je peux faire tout ce que j’aime, car je l’aime et l’amour est l’énergie du corps et de l’esprit . J’aime les instants de mes insomnies un par un, comme on aime ses enfants. La nuit est profonde, elle est compatissante. Le silence de cimetière qui y règne et plein de sens. C’est le jour qui est touffu de non sens. Ce jour de trop de charges, de va-et-vient au service de rien. Le jour, c’est le royaume du souverain Rien . La nuit, elle , est charmante . Elle est déjà féminine. Tendre, calme , accueillante , chaude , infiniment généreuse . Elle est le jour de l’esprit et la nuit du corps . Le cœur y bat lentement . Il a l’air de réciter un texte ou de raconter une douce histoire avec comme musique de fond ce tic tac régulier des veines . Cette petite machine à compter quelque chose qui depuis des années fait et refait le compte . Je ne cherche pas sur mon oreiller des endroits frais . Ils sont partout entre les lignes de mes délires . La fraîcheur de mes pensées jaillit de l’amour des confessions. Je deviens une créature qui se nourrit des instants de la nuit et qui boit le jus jaillissant  de la mémoire pressée tel un tissu mouillé . Un amas de souvenirs s’entassent devant la petite porte de ma bouche serrée toute la nuit . Ils font la queue jusqu’à l’infini ces morceaux de ma vie , je les vois presque tous d’un seul trait . Je connais même leurs secrets . Je ne m’acharne guère à les organiser , à les forcer de changer d’espace et de temps . Je suis inlassablement le cours de la cascade sans penser ni à la qualité de ses eaux ni la fin de la course . C’est la beauté de son harmonie , la lumière de ses gouttes unies , la souplesse de son corps naturelle , et l’architecture minutieusement ravissante qui l’entoure , qui éblouit  les yeux  et fascine les cœurs . Je laisse donc libre cours à cette rivière pleine d’étrange et d’habituel , de réel et de surréel , d’apparent et de latent , de rouge et de noir . L’harmonie des contraires n’est-elle pas le fondement de l’homme . Il faut avouer son dédoublement . L’androgyne n’a jamais été une anomalie d’autant plus que c’est le mariage  passionnant des deux pôles de l’humanité , l’homme et la femme , le solide et le doux , le robuste et le fragile , le redoutable et le tendre , le rauque et l’aigu … Tout en un seul comme le mot . Le charmant mot , le perfide mot , le doux mot , le solide mot . Le mot , cette particule dont on n’a pas encore d’origine sûre ! Entre les abîmes des bois et les mystères  de l’homme , la science balance  et seul l’art s’approche de la réponse . C’est dire le mot , l’utiliser , le noyer , le libérer , l’emprisonner , l’accuser , l’innocenter , c’est ça l’origine du mot ou la vie n’est plus ce bon professeur . Il est aussi mon ami intime le Mot , avec sa couronne en majuscule . Il est de mon cœur le plus sûr secrétaire comme le sont les vers pour Du Bellay . Ces trois lettres qui résument tout le monde , toute l’existence , tout le destin sont exactement ce qui me fascine , M,O ,T ! M de mémoire , O de odelette , et T du temps . C’est cette toute petite ode gracieuse que chante la mémoire en hommage au temps . Mais c’est aussi le M des maux , des  morts qui ressuscitent  , le O de tous les oracles qui annoncent l’orage , et le T des ténèbres des tourbillons où germent les étincèles d’un prochain salut . En lui seul , le mot cache  tout le monde . Seule la nuit douce dorlote les mots et leurs fait dire les vérités . Et à l’approche de l’aube , ils se  mordent les doigts de honte d’avoir tout dit comme des petits enfants.

Qu’il soit deux heures trente-six ou trois heures vingt-deux ou quatre heures moins neuf… Que m’importe , je n’ai rien à faire des chiffres . Bagatelles .  Je laisse le temps au temps pour réfléchir , il est assis près de moi en train d’écrire ses mémoires au rythme des tictacs vides et insensés .  Abandonnée par le temps , je vois dans la pénombre l’horloge timide , un tas de bois orné de chiffres romains et deux aiguilles qui se suivent enfermées dans un gros zéro . Une espèce de cirque où sautillent des morceaux de métal . Le temps , c’est l’âme . La guerre contre le temps , c’est de la peine perdue . Nager à contre-courant , finit toujours par nous épuiser pour rien . Le bonheur est dans d’autres luttes . La lutte contre l’ennui , la lutte contre le mal , la lutte contre l’imposture des autres , il y a bien des monstres à tuer . Mais tuer le temps , c’est une injustice envers cet être innocent et généreux . Le bonheur y est caché aussi . Il est dans les choses minuscules de la vie . Il n’est pas un tout , mais en morceaux . Par instant et par flashs. Giono l’a dit . Un oiseau a tapé la vitre de la fenêtre au matin , une plume qui glisse facilement sur le papier , ou un travail bien huilé . Il est là cette sensation de bien être , ces perles d’enchantement cachées en mini-trésors dans le temps et dans l’espace .

J’écris , j’écris et jamais ne m’arrête . Je dis ce que j’ai sur le cœur , je dis la vie dans tous ses états comme la dit aussi Virginia Woolf. Je lance mes dès sur le vaste tatouage de mon âme et j’attends . L’attente pure , calme , stagnante qui précède le bouillonnement intérieur . Les idées fourmillent et pullulent au bout de ma langue . Le défilé d’images molles exhalant l’odeur du blâme et de louange . L’ivresse augmente dans une espèce de décollage suivant le hasard et l’inconnu . Ce hasard de Pascal,  créateur des lois et cet inconnu de Nerval sans foi ni loi . C’est dans la nuit couleur de corbeau que la voyance accouche du bon et du beau . Chaque souffle un vers et chaque  vers un nouveau souffle . Je valse sur mes phrases aux lettres tranchantes . Il ne pleut pas , mais pourtant  je suinte de la tête au pieds . À la merci de l’imprévu… Ce souverain Imprévu avec son I tendu . L’imprévu est souverain . La vie est un combat contre les imprévus . Mais se soucier des surprises malheureuses c’est perdre toute ses chances de vivre . Il faut donc aimer l’imprévu , le respecter , l’attendre comme on attend le prévu . Surtout que certains coups de ce souverain sont bons , meilleurs que tout calcul . Au-delà du choc se cachent souvent des merveilles , qui sait ?    La destinée  est imparfaite et c’est son imperfection qui la laisse vivable . Accomplir sa destinée comme on dit ! Non plutôt  laisser l’imprévu l’accomplir et jamais l’âme ne souffrira . Car la souffrance ,c’est l’oubli du côté surprenant de l’existence . La négligence du parallèle . Trop de calculs , trop de plans . Or , ce n’est pas le plan qui fait réussir , le plan est superficiel , une espèce de proposition minée du futur proche ou lointain . Et l’essence de la proposition c’est le doute . Impossible de relever ce doute qui nous constitue , le négliger c’est se saper jusqu’à la chute . Doutons de tout , c’est la meilleure feuille de route . Doutons même d’un futur d’une seconde . L’air est aux poumons mais qui nous assure qu’il en sortira !  Si l’on parvient à le pousser dehors, on est vivant. S’il y reste c’est de l’imprévu . Une mort subite vaut mille fois mieux qu’une mort attendue avec trop d’angoisse et de tristesse . Le doute et l’imprévu sont les frères différents d’une même mère l’expérience . Seule l’expérience nous apprend qu’il faut douter et accueillir à bras ouverts tout imprévu . Tout ce qui est de merveilleux dans la vie de l’homme ressort de l’imprévu . Le scientifique met en épreuve des matières en vue d’atteindre un résultat déjà tracé mais il  advient quelque chose de surprenant  et de bouleversant . Le peintre entame son tableau avec des touches de pinceau régulières et planifiées , mais au bout d’un temps son génie se voit guidé par une espèce de force qui le dépasse et de source inconnue  vers un autre monde . Le tableau final est merveilleux . Tout comme l’écrivain qui commence son histoire en fixant le plan d’événement , mais souvent à mi-chemin le roman policier devient quête d’amour , la romance devient quête policière , le sérieux se transforme en comique , le comique en drame … Les mots s’enchevêtrent , le fil se perd , les pages défilent , l’écriture s’assouplit , les caractères débattent , et l’écrivain transcende . Baigné dans sa hantise … Vertige !

 

 

 

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