Le vendeur d’épices : Abdellatif Bhiri – Safi –Maroc 27 février 2017 Abdellatif Bhiri Le vendeur d’épices, plus connu chez nous sous le nom El Attar, avait une boutique qui revêtait un aspect ambigu dans l’imaginaire des enfants de par les odeurs exquises qu’elle exhalait et de par une sorte d’occultisme, de charlatanisme et de superstition. Je percevais la boutique à travers le prisme des couleurs et l’ivresse des senteurs. Je revois toujours cette échoppe noyée dans d’innombrables sacs en toile de chanvre, à demi-pleins de produits cosmopolites. Il y avait là, au devant de l’étalage, les épices de base de la cuisine marocaine. Leur aspect multicolore et leurs odeurs enivrantes attiraient les clients. On y trouvait entre autres le cumin, le gingembre, l’anis, le fenugrec, le poivre et le piment… Au second plan, étaient agencés des sacs moins imposants et réservés aux épices de circonstance : la coriandre, la cardamone, la nigelle, le macis et les herbes aromatiques… Mais ce qu’il y avait au fond de la boutique demeurait un mystère pour les enfants. Seuls quelques hommes initiés et les femmes en connaissaient les arcanes. On pouvait entre-apercevoir des bêtes momifiées suspendues au plafond : des lézards, des caméléons, mais aussi des tortues vivantes, de la peau de renard et de serpent, des poils de cochon et peut-être même des dents de dinosaure !!! El Attar, le vendeur d’épices, connaissait parfaitement toute cette pharmacopée artisanale. Il lui arrivait même de prescrire des recettes improvisées pour tel ou tel malaise physiologique. Pis encore, il passait pour être un médium avec les djinns( !) et ce par le biais de potions magiques dont lui seul détenait le secret. Il va sans dire que ce charlatan ne jouissait d’aucune estime auprès des hommes du quartier. Le Fqih ne ratait aucune occasion pour le fustiger et médire de lui, tant par jalousie que par éthique. El Attar avait acquis la fâcheuse réputation d’être un empoisonneur des hommes puisque ses fameuses recettes atterrissaient généralement dans leur estomac ! Pourtant, une poignée d’hommes sans scrupules(les initiés) s’approvisionnaient sans gêne dans sa boutique. Tous les ingrédients de la magie noire s’y trouvaient. Sa principale clientèle était des femmes. La proximité de sa boutique du Hammam (bain maure) faisait qu’il était incontournable. Il vendait du savon noir, du henné et du « ghassoul » (sorte de shampooing traditionnel). Étaient également fort prisés, une sorte de gant de couleur noire femmes ainsi qu’un peigne fabriqué par les cornes de je ne sais quelle pauvre bête ! Drapées jusqu’aux chevilles de peur d’être reconnues, des femmes jeunes et moins jeunes, venaient parfois chez lui faire des commandes douteuses en demi mot et repartaient au plus vite. Les vertus médicinales et salvatrices des recettes d’El Attar étaient colportées de bouche à oreille par les femmes. L’une avait réussi à « mater » un mari trop volage, l’autre à revigorer le sien en « viagra traditionnel ». Mais la plus satanique d’entre elles, était celle qui voulait s’en débarrasser lentement mais sûrement ! Elles avaient peur d’être délaissées, peur de ne plus être aimées et peur d’hériter d’une progéniture sans aucune ressource. Alors dans ces grands moments d’angoisse, où elles voyaient tout en noir, elles ne faisaient plus dans les demi-mesures. El Attar ne ménageait aucun effort pour enjoliver et vanter l’efficacité de ses recettes miraculeuses et non moins fatales. Les odeurs exquises de l’encens et des épices perdaient ainsi de leur magie face aux agissements diaboliques des femmes analphabètes aidées par un médium qui se nourrissait de leur ignorance et de leur crédulité. 2017-02-27 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet