La poétesse syrienne Linda Abedalbaki à « Culminances »(1ère partie) :J’ai toujours eu la conviction que le vrai poète est celui qui se crée une langue spécifique et qui possède une expérience singulière lui permettant de planer très haut 27 décembre 2016 Linda Abedalbaki incarne la femme de lettres au sens propre du mot. Elle est d’abord une poétesse dont le répertoire comporte jusqu’ici sept recueils de poésie. Elle est aussi une éditrice qui possède une maison d’édition solide et bien ancrée dont les activités n’ont pas été suspendues tout le long de la guerre et dont les publications arrivent à la plupart des pays arabes. Elle est, en plus de cela,une animatrice culturelle détenant un salon culturel qui se tient régulièrement et qui préside une association au nom de L’association de la pureté cultuelle dont le siège se trouve dans sa ville natale : Soueida et qui vient d’organiser dans cette même ville une grande manifestation littéraire et artistique. Pour mieux connaitre cette personnalité culturelle,créatrice et bûcheuse qui consacre toute sa vie à la culture en dehors des institutions officielles, nous avons eu avec elle l’entretien suivant : Linda Abedalbaki 1- Je m’adresse d’abord à Linda la poétesse avant de m’entretenir avec Linda l’éditrice et l’animatrice culturelle…Vous faîtes partie des poètes qui ont choisi dès le début le poème en prose au détriment des deux autres genres : classique et libre et vu quevous avez publié jusqu’à ce jour sept recueils , on peut dire quevous comptez parmi les représentants du poème en prose en Syrie. Comment expliquez-vous ce choix ?Est-il dû à l’influence des deux grands poètes syriens qui se sont distingués dans ce genre, à savoir Mohamed Al-Maghout et Adonis ou bien découle-il d’une prise de position intellectuelle contre la poésie classique et la poésie libre ? ***Dans mes recueils déjà parus, le lecteur peut trouver des poèmes appartenant aux trois genres de poésie :classique, libre et en prose. Mais la plupart de mes écrits poétiques sont du troisième genre et des haïkus. Et j’explique cela par le fait que la poésie constitue ,pour moi l’un des plus importants champs de la conscience humaine, voire le véritable pouls du créateur. C’est une passion méta-esthétique pour tout ce qui est fascinant, absurde, inexistant et différent. Et c’est sur cette base qu’on a fait la distinction entre la poésie de la prose .Quant à moi, j’essaie de piquer le tissu poétique afin de le réveiller, en créant des formes que j’introduis au moyen d’une sorte d’opération réanimatrice et novatrice dans le corps du poème, afin de réaliser la fermentation de l’état poétique. Et la coexistence des trois genres est pour moi nécessaire pour que je ne perde pas l’étape que représente chacun d’eux, du fait qu’ils revêtent tous une grande importance pour la dialectique de l’étape actuelle. Mon poème est un ensemble d’espaces, de forêts, de sources .C’est l’empreinte de mon être, la sincérité de mes ressentis, car j’écris ce qui se passe à l’intérieur de mon tréfonds et se reflète sur le miroir de mon âme, étant convaincue que la plus belle poésie est la plus sincère et que la fonction de la poésie est la recherche de ce qui est différent par rapport à l’ordre établi, le combat contre le figement de la langue, la transplantation de nouveaux gènes et des miroirs éclatants dans ses entrailles ,capables de lui rendre son charme, afin que la poésie demeure la gardienne fidèle de notre âme et pour que nous puissions réaliser une similitude parfaite entre la beauté de la langue et notre vie. La fonction de cet art est de découvrir ce qui est inconnu sans jamais définir les choses par ce qui est connu et sans chasser les gazelles momifiées. Cependant, je reconnais que je m’éloigne le plus souvent de la poésie classique. Et cela est dû à la sévérité exagérée des versificateurs qui s’adonnent à ce genre de poésie , à leur hostilité vis-à-vis de la modernité et à leur manie d’appeler la versification “poésie” et de défendre cette idée erronée par tous les moyens comme s’ils roulaient autour d’eux-mêmes sans quitter leur place car ils ne font pratiquement que momifier leurs poèmes. Ma poésie demeurera la langue de mes ressentis que j’inspire du cri de mon silence…je demeurerai Ishtar semant le verbe pour que le poème pousse tout vif et resplendissant de beauté et me fasse monter avec lui au huitième ciel. Enfin, j’ai toujours fait et je ferai toujours mon possible pour ne pas subir l’influence des grands poètes afin que la poésie me donne mon identité spécifique . 2-Dans vos poèmes sur le plan thématique prédomine les préoccupations existentielles. Cette orientation est-elle due à la guerre, du fait qu’elle pousse généralement l’homme à réfléchir profondément sur le devenir et sur la relation de l’être avec l’autre et le monde ? Ou bien découle-t-elle de la nature de votre disposition psycho-mentale personnelle ? « Je souffre donc je suis », c’est le trait qui nous a envahis pendant les années de crise et de guerre. Pour cette raison, les pas du poème ont saigné et la plupart des écrits des poètes se sont remplis de vocabulaire de guerre. Cependant, les mots dénotant l’affection et l’amour ont envahi les miens et s’en sont emparés .Et ces mots ne disparaîtront pas, parce qu’ils sont le miroir de mon âme et les battements de mon pouls.Ils véhiculent la voix féminine qui jaillit de mon tréfonds et le cri de mon silence dans une langue affective et existentielle et sous forme d’expressions pleines de sensibilité. Je parle, bien entendu, ici, du moment où se déverse le poème telle une pluie d’été chaude favorable à faire pousser le verbe .Et étant donné que les bases de tout beau poème sont la culture, le talent, la souffrance et la langue solide , j’essaie de toutes mes forces de faire de mon poème l’empreinte de mon Moi. Et c’est pour cela que je n’écris jamais sur les autres personnes, car je crains toujours que si j’écris sur quelqu’un, il pourra un jour changer de comportement et dans ce cas mon poème me le reprochera. Et la seule exception était mon père à l’occasion de sa mort qui m’avait fortement affligée au point où elle m’avait inspiré un émouvant poème .D’autre part, la poésie authentique doit , à mon avis, traiter les sujets concrets et abstraits à parts égales et jamais les uns au détriment des autres, pareillement à la sève montante qui reproduit les éléments de la nature et les transforme en éléments abstraits et d’autres dotés d’une force métaphysique. C’est ainsi que le texte flamboie au point où ce qui nous apparaît à sa surface constitue en même temps sa structure profonde. Je dois souligner aussi que pour créer une nouvelle poésie , il fait se doter d’une nouvelle vision et cette vision doit englober l’univers, l’existence, l’homme et la langue ainsi qu’une conception personnelle de l’existence et de la connaissance. Enfin , tout en enrichissant et approfondissant le dialogue avec mon époque et ma génération , je ne cesserai pas de m’investir à résoudre l’énigme épineuse de la poésie, cet art linguistique vagabond presque indéfinissable etce, dans le but de faire évolue la psyché humaine et lui assigner la place la plus élevée possible . 3- Votre poésie se fonde essentiellement sur l’usage de la technique dite de fascination et de surprise par le biais des images inédites. cette technique est l’une des plus difficiles qui soient dans l’art poétique. Planifiez-vous vos idées et vos images avant d’écriture de vos poèmes ?Ou bien surviennent-elles spontanément dans votre esprit ? Ma poésie c’est mon âme à travers l’écoulement du verbe …c’est aussile battement de mon pouls. Entre elle et moi il y a un cordon ombilical inébranlable grâce à l’harmonie qui règne entre mes mots et leur musique interne. Lorsque je me mets à écrire, la réserve poétique qui s’est constituée en moi pendant des décades insuffle des ondes mystérieuses dans les profondeurs de mon expérience avec la langue. D’autre part, ma poésie possède une couleur … un aspect … une énergie qui se mélangent avec ma spécificité affective pour me donner une sorte d’identité ou d’un type spécial d’écriture ou d’un style singulier. Ainsi après que je prends possession de mes outils, ma voix et ma couleur personnelle, je me sens en mesure d’apporter ma touche poétique magique et les sonorités de mes mots se mettent à s’ordonner d’une façon géométrique à l’intérieur de mon être, annonçant la naissance de mon poème et sa luminosité. Ceci étant, j’ai toujours eu la conviction que le poète est celui qui crée sa matière, sa langue spécifique et sa propre expérience pour pouvoir planer très haut, à condition qu’il s’abstienne à confectionner artificiellement le texte et la phrase.En effet, le jet affectif émanant de l’être garantit la sincérité des sentiments et le charme du sens surtout lorsqu’il est secondé par un esprit philosophique de nature à reconstituer la vie avec des yeux ouverts sur l’époque en cours. Quant au texte poétique en soi , il se compose, à mon avis, de couches stratifiées bien structurées. Et cette structuration est d’ordre épistémologique et ne peut être réalisée que par le biais de l’expérience et la culture .Enfin , ces deux éléments ensemble :affectif et culturel donnent au texte une voix, un pouls et un rythme spécifiques et permettent au poète de créer et d’insuffler à la langue un élan novateur, la doter d’une rhétorique sans précédent et façonner le verbe suivant le mode le plus harmonieux qui soit avec l’âme du poème. Il est à remarquer dans ce contexte qu’il n’est pas facile de faire de la poésie un art pur, car pour y arriver, il faut posséder une grande énergie poétique émanant d’un être qui croit dur comme fer que le salut est dans la poésie. Je dois mentionner aussi qu’il est parfois facile d’arriver au sommet mais il est très difficile d’y rester et de ne pas dégringoler. Enfin , tout mon objectif dans ce que j’écris est de créer une poésie fascinante, belle, étrange et inédite. 4-L’autorité des réseaux sociaux a brisé celle des médias officiels et les unions des écrivains car le poète ou l’écrivain a dorénavant la possibilité de gagner un large auditoire hors de son pays oû il est presque inconnu .Et contrairement à cela, des poètes et écrivains dont les médias officielles amplifient l’image restent inconnus hors de leurs pays .Cet état de fait est-il positif ? Ou bien il est négatif car il se peut qu’il engendre une grande confusion et cause un embrouillement grave sr la plan des valeurs artistiques et intellectuelles ? ***Les responsables des tribunes culturelles se mettent dans la plupart des cas proches sous la lumière des projecteurs de la notoriété au dépens des vrais créateurs. Mais heureusement ils ne tardent pas, en général, à brûler dès l’instant où ils quittent ces tribunes. N’oublions pas aussi les intérêts communs et réciproques basés sur le principe “donnant donnant”. Et ce qui me fait sincèrement de la peine est que ces responsables éliminent les jeunes talents et les anéantissent .En effet, nous assistons tous à la consécration répétée des noms de ces responsables etde ceux de leurs amis et à leur mise en avant dans les mass-média ainsi que dans les institutions culturelles.Et cela dure jusqu’à l’expiration de leur nomination à la tête des tribunes ou de leur élection. Et étant donné que la date de cette expiration est gravée dès le début sur le siège qu’ils occupent, ils font tout pour assassiner la littérature et soumettre la critique à leur volonté, afin de profiter à fond des postes qu’ils occupent. De ce fait, ils élèvent délibérément des barrières devant les vrais créateurs, tandis que grâce aux réseaux sociaux plusieurs écrivains et poètes qu’ils ont marginalisés ont pu traverser les mers et les océans et atteindre différents pays du monde où leurs textes ont connu un grand succès. Pour cette raison , les réseaux sociaux constituent sans contestation aucune un espace vaste et libre pour tous les créateurs sans qu’ils aient besoin d’intervention ou de médiation.Et grâce à ces réseaux le seul passeport pour les créateurs est le verbe et le texte de qualité, sachant qu’ il y a eu toujours des lignes croisées entre le créateur et le récepteur, lequel demeure l’unique terre fertile pour la création authentique, ce qui est en soi , à mon avis, un phénomène très positif puisque il contribue à rendre à chacun ce qu’il mérite. 5- Vous venez de publier en France un recueil de poésie en langue française. Que ressentez-vous au moment où votre poésie est parvenue aux lecteurs dans la rive –nord de la Méditerranée et la ville des lumières ? Le plus grand avantage dont j’ai bénéficié de ma présence et de mes activités dans les réseaux sociaux est que mes textes poétiques sont arrivés à votre noble personne et qu’un choix de ces écrits ont eu la chance d’être traduits par vos soins vers le français , ce qui leur a valu de paraître chez Edilivre en France. Ensuite je reconnais que le plus important exploit que j’ai accompli dans ma vie était de m’avoir sélectionnée dans votre prestigieuse anthologie de poésie mondiale et d’avoir fait parvenir mon identité poétique aux cinq continents ainsi qu’aux demeures de cette élite de poètes du monde, grâce à quoi j’ai vu se réaliser un rêve auquel je ne pouvais même pas penser .Et ce qui fait encore mon bonheur est qu’une fois je vous avais demandé de traduire quelques poèmes de l’une de mes amies mais vous m’aviez répondu que vous ne traduisez jamais sur demande ni contre de l’argent, me rappelant que vous aviez traduit mon recueil Sur les rives de la nostalgie sans que je l’eusse demandé.Vous m’aviez dit aussi à cette occasion que ce qui vous avez poussé à traduire mon recueil était uniquement votre conviction de la bonne la qualité de ma poésie.J’ai ressenti ce jour-l qu’il existe encore du bien dans ce monde et qu’il y a encore des personnes fidèles aux causes nobles. 2016-12-27 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet