La poétesse syrienne Suzanne Ibrahim à Culminances (1ère partie):« Tout ce que nous possédons est un alphabet tissé d’amour, de vérité et de beauté… Notre message pour le monde entier est que nous vainquons la guerre en répandant encore plus l’amour et de paix… ».

A l’occasion de la parution de son  quatrième recueil de poésie intitulé Je suis devenue à présent une forêt chez Linda éditions à Souéda en Syrie et dans l’attente de la prochaine sortie de ce même recueil en langue française à Paris , la poétesse syrienne Suzanne Ibrahim nous livre ses impressions sur cet évènement  ainsi que sur la scène littéraire actuelle dans son pays :

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1- D’abord , toutes nos félicitations pour la sortie de votre nouveau recueil poétique Je suis devenue à présent une forêt chez Linda Éditions en Syrie. Il constitue à notre avis un évènement important dans votre parcours du fait que ce recueil a paru d’abord dans votre pays en langue arabe puis il sortira, comme vous me l’avez dit en français à Paris. Que ressentez vous du moment que vous vous adressez à travers les mêmes textes en même temps aux arabophones et aux  Français  ainsi qu’aux francophones  ?

 

***Je vous remercie pour ces beaux mots .C’est pour moi  dans le cas présent un grand bonheur. En effet, chaque fois que parait  l’un de mes   mes livres, je vis de tout mon être la jouissance de la naissance  au moment où je m’adresse  aux  lecteurs dans mon milieu arabophone. Ce bonheur est  cette fois double, vu que ma « forêt »,c.à.d.  ma publication poétique fera la traversée vers l’autre rive de la Méditerranée pour trouver les lecteurs français. La réception des textes que contient mon recueil sera, sans aucun doute, différente en raison des belles différences entre les deux cultures arabe et française. J’attendrai pour voir le  résultat de cette réception : où se situent nos  points communs et nos  points de divergence .Et tout ce que j’espère est que  mon recueil trouvera un bon écho  dans les deux rives. Il me faut dans ce contexte-ci remercier tout particulièrement le traducteur du recueil le professeur Mohamed Salah Ben Amor qui  s’évertue à hisser la poésie et les poètes à un rang mondial à travers son  jardin de textes poétiques.

2- En réalité vous faites aujourd’hui partie d’un groupe très nombreux d’écrivains et d’artistes syriens que la guerre  n’a pu faire taire malgré les tueries et le  désastre  qu’elle cause chaque jour .Au contraire, nous les voyons poursuivre leurs activités intensivement comme s’ils étaient en temps de paix, ce qui suscite vraiment l’admiration .C’est comme si la Syrie défie la guerre non pas seulement avec son armée mais avec la littérature et l’art également !

***C’est tout simplement notre pari sur la vie…et notre manière d’éviter de mourir assassinés…Nous les artisans du mot tout ce que nous possédons est un alphabet tissé d’amour, de vérité et de beauté… Notre message pour le monde entier est que nous vainquons la guerre en répandant encore plus l’amour et de paix…nous cherchons à surpasser la mort tout en ayant peur que notre dernier souffle ne nous soit pas arraché subitement juste au moment où nous avons dans le carquois de notre langue ce qui devrait être dit …Il faut face à la guerre par la diffusion de la vie…Et la poésie et l’art en général sont une extension de leur  créateur dans la temps. Nous écrivons sans arrêt, parce que « nous aimerons la vie si nous en sommes capables » , comme l’a dit le poète palestinien Mahmoud Darwich.

 

3- Dans les circonstances de la guerre qui se déroule depuis plus de cinq ans, l’observateur qui regarde de l’extérieur de la Syrie remarque la multiplicité des voix poétiques et leur tendance  malgré leur diversité à satisfaire le côté esthétique tout en s’impliquant dans les préoccupations existentielles, et ce, en essayan, d’un côté, de porter  la description de la réalité tragique  prévalant dans le pays à un haut degré esthétique par le renoncement à l’éloquence et au discours transparent  non suggestif – ce qui pourrait être expliqué par l’influence des deux grands poètes syriens Mohamed Al-Maghout( ) et Adonis () qui excellent dans ce genre d’écriture , de l’autre,  de plonger profondément dans le tréfonds du Moi  pour  retracer les effets psychiques et existentiels de la tragédie de la guerre .Êtes-vous d’accord avec ce point de vue ?

***Du cœur de la guerre est née une nouvelle génération poétique qui s’est mise, à côté des autres génération,  à suivre le déroulement de la guerre et à y réagir émotionnellement et esthétiquement d’une manière pour la plupart de temps hautement affinée et subtile. Et cette poésie nouvelle a constitué un saut qualitatif dans le paysage poétique  syrien et peut-être même arabe grâce à la découverte de styles  nouveaux dans la mise en œuvre de la langue, de l’imagination et du sens et dans l’établissement de relations entre  la réel et l’imaginaire d’une façon habile.Dans les circonstances des guerres, les lexiques et les termes changent .Il n’y a plus lieu pour un blessé dans l’âme ou quelqu’un  qui saigne du cœur des mots, de s’adonner à l’éloquence, car la mort ne laisse nullement  du temps pour une tristesse ordinaire  ou des choses ordinaires , vu que la réalité amère a remodelé la langue et l’imagination d’une manière différente…Quelques traits communs peuvent être perçus  entre la plupart des nouveaux poètes syriens, ce qui est logique, parce qu’ils vivent  l’expérience de la même tragédie , mais chacun d’eux possède sa manière et son style propres bien que le tissu du texte soit le même : le thème de la guerre. Parmi les effets de la guerre le recours massif à   l’absurde et la présence du  sens de d’inutilité et l’inclinaison  à ressentir un état existentie, dans l’espoir que le Moi qui fait face à une grande tragédie nationale retrouve son  équilibre psychologique…La tragédie a broyé les poètes et leur langue. Ce qui a rendu le pain des poèmes délicieux  et sa saveur singulière !

4- Le lecteur de votre dernier recueil de poésie Je suis devenue à présent une forêt  paru chez Linda éditions en Syrie remarque que ta poésie est imprégnée d’un accent de tristesse de plus en plus vif  bien qu’elle  ait conservé son atmosphère existentielle et soufie. Ce nouveau élément est-il circonstanciel et dont les causes seraient personnels et passagères ou bien il touche votre vision de l’être et de l’univers consécutivement  à la situation  actuelle ?

***La tristesse est l’amie des poètes .Et cela a été depuis longtemps ainsi .En ce qui me concerne, la tristesse est paraît-il profonde et dont les racines s’étendraient  jusqu’à mon enfance. Depuis que j’accédai pour la première fois à la conscience de moi-même, j’eus le pressentiment que j’étais le résultat d’une faute quelconque. Je m’étais peut-être trompée de chemin. Depuis mon enfance  je m’étais trouvée préoccupée par la quête d’un autre monde tantôt dans la réel ,tantôt ,et à plusieurs occasions, dans l’irréel .Ce sentiment d’éloignement et de solitude est la base de la tristesse,  car le poète est l’être des exils parce qu’il ne s’apaise jamais  et ne s’accommode à aucune terre…et à aucune réalisation …Assurément, les états de contemplation  que j’essaie de maîtriser  restent encore mon refuge , tout comme la nature avec toutes ses composantes…La situation  actuelle est venue pour  créer une contradiction criarde entre le lieu réel et le lieu souhaité …Le poète se sent étranger même  dans la maison de sa langue parce qu’il essaie  sans cesse de dépasser ce qu’il a fait de soi-même .Le sentiment de la non-appartenance  au lieu ou même au temps est l’essence de la tristesse .Et cette tristesse est existentielle, substantielle et permanente

5-L’édition et la distribution ont accusé ces dernières années un grand recul à cause des catastrophes qui se sont abattues sur le monde arabe, ce qui a poussé la plupart  des écrivains et des poètes à chercher refuge dans les espaces virtuels  que les réseaux sociaux et les sites électroniques ont mis à leur disposition.Ces espaces et sites  ont-ils aidé réellement à élever  le niveau de la littérature arabe ou ont-ils ,au contraire, contribué  à sa dégradation en raison de l’absence de contrôle artistique et la prolifération des intrus et des pseudos ?

 

***Soyons logiques et disons que l’édition et la diffusion  dans le monde arabe ont longtemps souffert d’énormes difficultés, ce qui s’est répercuté bien entendu négativement  sur tout le cercle  du livre à commencer par l’auteur et en finissant par le lecteur. Lorsque l’espace électronique a ouvert ses portes, les écrivains y ont trouvé leur objet recherché car ici finissent les limites et disparaît la fameuse censure arabe avec ses grands et nombreux ciseaux, en plus que les frais de production sont à peu près inexistants, ce qui est en soi encourageant. Mais ,de l’autre côté de l’équation, l’absence de contrôle littéraire, linguistique et grammatical  sur les textes a encouragé n’importe qui à  écrire .Personnellement, je ne me serais  opposée  au droit de toute personne à l’écriture, car elle constitue un échappatoire pour se débarrasser de la tristesse  et tout sentiment inhibiteur  .Mais aller jusqu’à faire de l’espace virtuel un lieu pour  l’accouvage de non-doués  puis  pour l’ ascension de l’échelle des fausses gloires,  cela ne peut que   prêter à la moquerie. Nous ne pouvons nier l’occasion  que cet espace a offerte aux bons poètes arabes pour se  faire connaître et trouver des interlocuteurs aussi bien en Orient arabe qu’au Maghreb  ainsi que la possibilité de traverser  la Méditerranée par le biais de la traduction .Pour ces raisons, je convie les administrateurs des sites et des revues électroniques à procéder dans des limites raisonnables   à un contrôle sur la bonne qualité des textes qu’on leur propose de publier afin  qu’ils ne contribuent pas à  diffuser les textes sans valeur et à faire luire des métaux  à la gomme.

(à suivre)

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