Libère-moi de mon corps par : Ali Ghazi – Baghdâd –Irak

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(1)

J’aime tes doigts sur mon corps
J’aime que tu me façonnes comme un morceau de Meißen*
Que tu fasses de moi une loupe difficile à croire

(2)

La cigarette est féminine
Le poème est l’appel d’une créature féminine
Une idée éclate tout d’un coup 
Je ramasse des choses innommables

(3)

Je suis un mélange de liquides
Je coule comme l’eau sur ton corps
J’absorbe toute la température
Je m’évapore
Laissant l’idée de l’incarnation 
S’éloigner comme un souvenir

(4)

Moi et toi
Nous percerons plusieurs trous dans le brouillard
Desquels nous ferons tourner de nouveau les idées à tour de rôle
Et nous écouterons les voix de la Terre
Celui qui restera de nous deux 
Conservera l’ombre de l’autre

(5)

De toute chose ayant un nom, tu as une consonne
Et ta dernière consonne
Se perd parmi les choses n’ayant pas de noms

(6)

Une branche tombe d’un arbre
Elle s’enfuit en courant
Elle bute contre une idée
Qui se tenait debout toute perplexe

(7)

Toujours je t’envoie des lettres
Tu te transformes avec le temps
En un giron d’une mère sans enfants

* Meißen :porcelaine précieuse de Saxe

 

Commentaire de Mohamed Salah Ben Amor :

 

L’inspiration artistique demeure l’un des phénomènes les plus mystérieux et les plus fascinants .Et la preuve en est que, selon les témoignages de plusieurs  auteurs  de grandes œuvres picturales, musicales, littéraires connues à l’échelle mondiale , les idées maîtresses desquelles ils les ont générées naquirent dans leur esprit spontanément et d’une façon totalement inattendue, comme s’ils les ont reçues d’une source super intelligente mais  inconnue. Pour cette raison, je me passionne toujours pour les témoignages que livrent les poètes  sur ce phénomène  bien que que leur discours soit imagé et plein de symboles et nullement raisonné et scientifique.

 Dans ce poème, l’auteur nous fait part des remous bouleversants qui se produisent dans son intérieur au moment où il se trouve sous l’emprise de l’inspiration.

Deux manifestations importantes de ce phénomène peuvent être déduites de son témoignage : la première concerne sa nature même qui le fait s’apparenter à une source de sensations extrêmement troublantes qui l’envahissent brusquement et s’emparent de lui, mais tout en lui procurant un plaisir étrange ressemblant vaguement  à la volupté sexuelle ( J’aime tes doigts sur mon corps ) mais sans l’être vraiment, d’où   l’assimilation qu’il fait du poème (le mot  « qasida » est féminin en arabe) à un être féminin supérieur possédant  des pouvoirs supra-humains (J’aime que tu me façonnes comme un morceau de Meißen*/Que tu fasses de moi une loupe difficile à croire ).

La deuxième manifestation est  l’auto-identification par le poète à  des liquides évaporables possédant le caractère de volatilité qui lui permet de se répandre dans l’espace (Je suis un mélange de liquides/Je coule comme l’eau sur ton corps/ J’absorbe toute la température/Je m’évapore) et d’acquérir ainsi une nature plus libre que celle à laquelle le réduit le corps humain.

 

Néanmoins , ces sensations indescriptibles en termes scientifiques ne sont ressenties qu’au moment de l’inspiration, car en son absence le poète, voire l’artiste en général retombe au rang des communs mortels.

Un poème  saisissant par ses images déroutantes et l’atmosphère mystérieuse qui s’en dégage.

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