Le poème du matin hivernal par : Mohamed Hédi Jaziri – Tunis 29 septembre 2016 Mohamed Hédi Jaziri Je t’aime, Je n’ai aucune opposition à ce que je t’aime En tout temps et en tout lieu de la Terre Mais je demande à ton amour De descendre de cet autobus. Mon humeur est une ruelle sans issue Et ma tête bourdonne comme un nid d’abeilles D’autre part je suis aujourd’hui Au service de ma famille Je t’aime, Dans la nuée de mon cartable Il y a des exemplaires de mon nouveau livre Mon livre qui est incapable de t’aimer Aussi fort que moi. Quelle grande différence Entre les poèmes Et le poète qui avance très loin Dans ce matin hivernal A travers les champs du nord Atteint profondément de ton amour Et courbé derrière le lâche gagne-pain Et devant l’état assassin ! Je t’aime, A côté de moi il y a un idiot Qui me parle de mon dieu Mon dieu qui, après cinquante errances, S’est avéré qu’il réside en toi Ö leurre du feu ! Ö astuce de l’eau ! Ö saut de l’argile ! Comment t’appellerai-je Ö mon âme effarouchée ? Je t’aime Je sais que tu te réveilles doucement Que tu accordes plus de temps à la nuit Afin qu’elle révise le climat de la gazelle Au cours de son sommeil païen, Pour que le matin se prépare comme il faut Pour t’étreindre Pour qu’il vénère ton dieu Dans la mosquée du quartier, Pour qu’il réprimande un voleur S’étant impliqué dans un sommeil profond A la croisée de deux jours, Pour qu’il balaie un chien terrifiant Qui s’est assis de tout son poids Sur la route de ton jour, Pour qu’il examine toutes les rues Et les passants matinaux, Pour qu’il tienne à ce que toutes les boutiques Ainsi que la boulangerie s’ouvrent Avant de monter les escaliers de ta demeure, Respirant l’air pur à pleins poumons Tout timide et embrouillé par son amour Et le tumulte des passants Je t’aime , Qui convainc le chauffeur renfrogné Que j’aime le poème dans sa forme humaine Et que je déteste les informations De son poste radio et du speaker, Les chansons transfigurées Et les maximes vulgaires de la nation Qu’il choisit ? Je t’aime Le chauffeur renfrogné n’a pas saisi Que le matin hivernal est le balcon De feyrouz et personne d’autre Et que j’ai besoin sans tarder de sa voix Pour qu’elle dompte mon désir ardent pour toi Pour qu’elle me sépare un moment Des ruines de mon pays, Du bafouillis de ce prophète assis à mes côtés Sur la politique, la religion Et la vertueuse révolution Je t’aime, Nous avons été stoppés Par un barrage de la gendarmerie J’ai fumé deux cigarettes Et j’ai avoué ton amour Aux arbres vagabonds entre les collines, A l’herbe, au vent, Aux pierres indifférentes vis-vis de mon ennui Et de l’étroitesse de la route A tel point que je faillis Divulguer ton amour Au chauffeur renfrogné, A tel point que je faillis Le divulguer aux gendarmes Nous montâmes dans l’autobus Et le prophète qui me côtoyait Continuait à ignorer que ta vénération à outrance De ma part est un devoir Et le fait que tu t’enquières sur moi Même une fois par an est un zèle Je t’aime, Que se passera-il Si un jour je dis à tes parents Que je suis une nouvelle invention Qui distrait les enfants, Maîtrise la déclamation des poèmes Aux adultes intéressés, Serviable, sans pareil Mes qualités sont ahurissantes Et je guide les prieurs Parmi tes parents sûrs d’eux-mêmes ? Commentaire de Mohamed Salah Ben Amor : Après la vague d’enfourchement de la révolution qui a succédé directement aux évènements du 14 janvier 2011 en Tunisie et qui a vu une multitude de pseudo-poètes et écrivains envahir la scène littéraire, se réclamant du nouveau changement et affichant des textes pour la plupart médiocres, les vrais poètes, eux, se sont retirés, dans l’attente que les horizons se dégagent et que le paysage s’éclaircit ..Faisant partie de cette minorité de poètes qui ont donné leurs preuves depuis plus de deux décennies, Mohamed Hédi Jaziri, après une période de silence, s’est mis à faire des réapparitions intermittentes mais avec un type d’écriture tout à fait nouveau, inspiré de la situation alarmante qui a touché tous les domaines dans le pays dont le secteur culturel où les créateurs tous arts confondus se sont sentis de plus en plus marginalisés et sans avenir, comme nous le constatons dans ce long poème conçu sous la forme d’un délire hallucinatoire continu, laissant entrevoir des attentes et des questions réelles et émanant d’un locuteur qui a toutes les caractéristiques d’un fou raisonnable. Construit sur la base du camouflage de l’identité de la destinataire à laquelle le locuteur s’adresse tout au long de son discours, en multipliant les signes polysémiques faisant croire tour à tour qu’il s’agit d’une bien-aimée ou du poème (féminin en arabe ) ou encore de la patrie , le poème nous dévoile l’état d’âme meurtri de son auteur qui se présente comme un humble homme du peuple et comme un amoureux inconditionnel et désintéressé de son pays qui fait fi de la politique , des politiciens et des politisés de tout bord mais que la situation de sa patrie l’inquiète profondément . Sur le plan du style, le texte a acquis, grâce à ce jeu polysémique, un attrait particulier renforcé par le flot d’images surprenantes qui n’a cessé de déferler du début jusqu’à la fin . Mohamed Hédi Jaziri 2016-09-29 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet