Le poète français Philippe Lemoine à « Culminances » :Aucune contradiction entre l’engagement et le lyrisme , ni entre le classicisme et l’esprit de l’époque moderne! 19 septembre 2015 Le poète Philippe Lemoine • Votre poésie pose entre autres deux grandes questions : commençons par l’une d’elles : l’ensemble de vos poèmes est distribué sur deux thèmes qui paraissent éloignés l’un de l’autre pour ne pas dire opposés : l’engagement et le lyrisme. En effet, si certains de vos textes poétiques vous rattachent au courant militant qui s’attaque vigoureusement aux maux de l’humanité, d’autres vous montrent, au contraire, replié sur votre égo et fuyant la réalité vers le rêve et la nature. Comment expliquez-vous cette dualité ? ** Le poète méconnait les frontières, pour lui tous les hommes sont frères, il ne peut donc rester indifférent à la souffrance humaine, aux horreurs et injustices qui se perpétuent depuis les temps premiers. Face à elles, il se doit d’être l’une des voix de ce monde, celle des consciences, celle des êtres dans la souffrance, celle de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la dignité, du respect entre les hommes et les peuples ; c’est son devoir de poète et de citoyen du monde ! Ma poésie dite « engagée », est à la fois un cri de révolte, un message de tolérance et l’expression assumée de mes valeurs humanismes. Elle porte le rêve d’un monde équitable et fraternel. Mais j’aimerais ne plus devoir en composer, cela signifierait que le monde est plus juste et meilleur pour tous. Ma poésie dite « lyrique » n’est ni une fuite face à la réalité ni un repliement égotique sur moi-même. Je la définirai comme une vision de l’âme. Intimiste, elle trouve sa signifiance dans la quête, quête de moi-même, quête de mon lien à l’univers, de ce lien unissant toutes choses mais aussi quête d’esthétisme… (De la musique avant toute chose, Paul Verlaine) Engagement et lyrisme, l’un n’empêche pas l’autre, chacune de ces expressions, qu’elle qu’en puisse être le thème, humanisme, engagement, rêve, amour, nature… est une facette de ma sensibilité. Plutôt que d’être antinomiques, elles sont complémentaires, elles disent l’homme que je suis, ma vision et mon appartenance aux choses et au monde. • La deuxième question concerne votre style d’écriture que l’on peut considérer comme purement classique .Et cela se constate au niveau des phrases qui généralement sont construites selon les règles syntaxiques strictes ainsi que leur enchaînement dans la chaîne parlée ou elles se lient entre elles suivant les règles de la coordination…aucun jeu de mots, aucune phrase tronquée, aucune asyndète ( suppression des conjonctions )..Etc. Comment ce goût pour le classicisme peut-il aller de paire avec le lyrisme enflammé qui secoue violemment la langue ? ** L’écriture du poète, la forme employée est une convenance personnelle. Je n’ai pas de chapelle en poésie et j’en respecte toutes les expressions. Pour moi, seules compte la signifiance, la force émotionnelle, la musicalité des vers et le respect de la syntaxe. La poésie est une forme de littérature avec ses particularités qui en font un art à part entière qui s’apparente à la musique d’ailleurs l’on ne dit pas « écrire de la poésie » mais composer de la poésie. Un art bien souvent (comme l’a dit Baudelaire, dans son petit traité d’esthétisme, en 1845) bien souvent galvaudé. Ne pouvant être juge et partie, je ne suis pas apte à qualifier la qualité de ma poésie et quoi que l’on puisse en penser ; j’ai une grande exigence personnelle. Cette exigence est autant un respect pour l’art poétique lui-même que pour le lecteur. Je compose de la poésie depuis plus de 40 ans. Longtemps, j’ai composé des vers libres, il m’arrive parfois d’y revenir. Je suis passé à une forme classique, il y a environs une vingtaine d’année car j’étais trop prolifique (je composais à longueur de journée.) J’ai alors ressenti le besoin d’une plus grande exigence par rapport à moi-même et je suis tombé amoureux de l’alexandrin, de sa musicalité, de la fluidité et des rythmes qu’il permet. Je considère ce passage non pas comme une régression mais une évolution positive qui n’est en rien antagoniste avec mon époque. Oui, ma forme est d’un grand classicisme, alexandrins avec césures, e éludé, rimes chaque fois que possible dites « riches »… Je l’assume et le revendique. Mais non seulement il m’arrive de composer des vers avec des asyndètes (lorsque cela ne nuit pas à sa compréhension) mais je peux aussi employer le jeu des allitérations, fracturer l’alexandrin, faire de nombreux enjambements et surtout je m’efforce de gommer la rime à chaque fois que le sens ne demande pas qu’elle soit marquée (car il n’y a rien de pire qu’une rime forcée). Je suis dans une quête permanente de musicalité, de rythmes et de métaphores… L’utilisation de l’alexandrin n’empêche pas d’être imaginatif, enflammé voire inventif !… L’essentiel est ailleurs que dans la forme (qui n’est, comme je l’ai déjà dit, qu’une convenance personnelle), l’essentiel est dans la signifiance, la force émotionnelle de la parole délivrée, cette émotion partagée avec le lecteur ou le spectateur… Je m’efforce donc d’allier, la forme, le sens, la musicalité, inventions, rythmes et métaphores ; rien ne doit gêner mon rythme de lecture lorsque je fais une prestation publique. (N’oublions pas de la musique avant…) • Bien entendu, les deux questions précédentes visent plus à susciter votre réaction qu’à écouter vos réponses, car si les contradictions sont refusées dans le domaine scientifique, elles peuvent être considérées dans le domaine littéraire et artistique comme un signe de singularité … cette qualité plus que nécessaire pour sortir du lot et s’imposer. Néanmoins, l’engagement auquel tu sembles croire, beaucoup doutent aujourd’hui de son efficacité, vu que la voix du poète n’arrive plus à un public suffisamment large. Qu’en pensez-vous ? ** L’art poétique souffre de nombreux à-priori dont sont parfois responsables (à force d’être incompréhensibles) les poètes eux-mêmes. La poésie a un auditoire plus large qu’on ne le pense car la poésie est partout non seulement bien sûr dans la chanson (voir Ferrat, Barbara et bien d’autres…) mais surtout dans ce regard particulier que chaque être porte sur les choses. Nombreux, parmi les gens que nous côtoyons, sont des poètes qui s’ignorent car l’idée qu’ils ont de la poésie est erronée. La devise de l’association Mille-Poètes en Méditerranée dont j’ai l’honneur d’être le Président Fondateur est : « Les poètes s’enferment dans des tours d’ivoire, la poésie ce n’est pas ça : chacun porte en soi une sensibilité poétique qui ne demande qu’à être révélée ou libérée ! » Certains poètes sont parfois incompréhensibles, renfermés sur eux-mêmes au lieu de se remettre en cause ou d’aller vers le public mais il n’y a pas de poètes maudits ! La poésie a un auditoire lorsqu’elle parle au lecteur ou au spectateur, lorsque qu’elle est source d’émotions, de rêves ou de prises de consciences… Sa transmission demande du travail, de l’exigence et dans l’écriture et dans la diction. Un chef-d’œuvre peut paraître insignifiant si sa transmission orale est de piètre qualité. (Léo Ferré a dit : « La poésie prend son sexe avec l’organe vocale ».) Le poète doit aussi aller vers son public et ne pas attendre que celui vienne à lui. Et puis, déjà porteur de tant d’ignominies, que serait notre monde sans poésie ? • Cela nous mène à une autre question plus pertinente : pour qui écrit le poète ? Chaque poète a sans doute ses propres motivations. Personnellement, je pense que, comme tout artiste, le poète compose avant tout pour l’art lui-même, l’acte créateur. Dans ma poésie dite « engagée », je cherche à porter une parole, à délivrer un message, à transmettre des valeurs humaniste à éveiller les consciences… La parole délivrée prédomine sur l’œuvre. Dans ma poésie dite « lyrique », je tends à effleurer le cœur des sentiments et l’âme des choses… Le discours est plus intimiste, c’est une voix à la fois intérieure et d’esthétisme. L’œuvre prédomine sur la parole. Pour sa satisfaction personnelle ou pour autrui ? Tout dépend de la signifiance du discours poétique, cette question rejoint la précédente. La poésie dite « engagée » est une parole délivrée donc pour autrui. La poésie dite « lyrique », tout en étant au service de l’art, est donc non pas pour notre satisfaction personnelle mais avant tout pour nous-mêmes. Cette satisfaction personnelle dont vous parlez, réside pour moi dans l’évolution que peut avoir ma poésie, dans la formulation du poème, sa tournure autant que dans sa signifiance, celle aussi du travail bien fait. Mais n’oublions pas de rester humble face à notre œuvre car toute œuvre demeure imparfaite et inachevée. Et si le second terme est le vrai quel est cet autrui ? Dans la poésie dite « engagée », cet autrui est la voix de l’être en souffrance dont le poète est la parole. Cette voix témoigne, s’insurge et s’adresse aux faiseurs de misères et à tous ceux que l’état du monde indiffère…, elle est un cri de révolte. Dans la poésie dite « lyrique » cet autrui est peut-être, avant tout, la part d’inconnu que nous portons en nous-mêmes. Expression du cœur et de l’âme, elle touche à l’intime au sensible et au beau. Mais la poésie, comme tout art, est faite aussi pour être partagée avec le plus grand nombre alors cet autrui est lui, moi, l’autre, nous, vous, toi, ils… • Venons maintenant au grand projet que vous menez depuis des années déjà : la maison de poésie de Narbonne que vous dirigez .Cette institution a-t-elle sincèrement atteint tous les buts que vous lui aviez fixés ? ** Cette institution est une œuvre de longue haleine. La diffusion de l’art poétique est un combat. Nous n’atteindrons jamais tous les objectifs fixés car au fur-et-à- mesure que l’on en atteint un, nous nous en fixons un autre. Même si de nombreuses choses demeurent à réaliser, je pense que notre bilan satisfaisant. Chaque année : de nouveaux adhérents cotisants dont certains avaient des aprioris sur la poésie, une trentaine de poètes et d’auteurs reçus, 8 à 10 livres édités et publiés, une fréquentation de la Maison Poétique en hausse, des partenariats avec la Ville de Narbonne, la Communauté d’Agglomération du Grand Narbonne et donc la Médiathèque, le cercle Occitans…, Un concours de poésie qui perdure, l’organisation de manifestations (24heures en poésie, journée du Patrimoine…) Partis de rien (deux personnes) et sans recevoir de grosses aides financières, nous avons pris place et sommes reconnus comme un acteur du paysage culturel de notre territoire et tout en ayant investis dans du matériel de sonorisation et autres, nos comptes sont équilibrés et notre structure pérenne. Le chemin est long mais, pas à pas, nous en gravissons les pentes… • Quand la maison de poésie de Narbonne s’ouvrira-t-elle sur la poésie mondiale ? ** L’association Mille-Poètes en Méditerranée est bien-entendu tournée sur le monde, sa porte est ouverte à tout un chacun mais pour pouvoir se diffuser sur d’autres territoires, il nous faut trouver des relais, des poètes ou des amoureux de la poésie de bonne volonté œuvrant pour cette œuvre commune qu’est la poésie. Mais comme rien n’est impossible au poète nous pouvons en rêver et le moment venu…, réaliser ce rêve… Propos recueillis par :Faten Fakhfakh Qui est Philippe Lemoine ? Philippe Lemoine est né le 3 octobre 1954 à Paris et habite à Norbonne (France) . Il est le président de l’association ” Mille-Poètes en Méditerranée ” et le créateur et le directeur de la Maison Poétique à Narbonne. Sa poésie ne se prête pas facilement à la classification. Et elle tire cette originalité du triple aspect de sa nature qui est à la fois lyrique, engagée et néo-classique. De par son lyrisme et son engagement, elle se place dans la lignée de la poésie romantique allemande et arabe qui prônait l’idée du défi de la mort et célébrait l’attachement ferme et inébranlable à la vie. Quant à son caractère néo-classique, il se matérialise, au niveau du style, dans une sorte de tempérament mixte alliant le respect des règles de la langue et de la métrique et une forte tendance à l’innovation des images. Ses recueils de poésie : Poussières d’oxygène – Vaincu par l’orage…-Les innombrables –Insurgé poétique- Les correspondances – In vino Véritas – Souffles d’encre … – Intime confidence. Et je parle aux oiseaux … Le poète Philippe Lemoine àSousse en 2010. La Maison Poétique DE Narbonne(France). 2015-09-19 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet