Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :4 – Les poèmes de Calli Mondésir :4-10 : Le temps est mourant

Ne voyez-vous pas
Flétrir les fleurs
Au printemps de leur floraison?

Ne voyez-vous pas
S’éclipser le soleil
A l’exode des matins?

Ne voyez-vous pas
Dénouer les nœuds
Le long du cordeau?

Ne voyez-vous pas
Que tout s’empresse
Que tout se presse
D’expirer leur balade et leur courant?

Le temps est moribond
Il est mourant

Il y reste que des brindilles de son souffle
Pour contempler les saisons
Qui s’étreignent
Les marées ancrant leur hamac
Aux horizons de l’océan
Pour balancer leurs rêveries

Il y reste que des brindilles de son souffle
Pour éteindre la fournaise
Où s’enflamment
Nos antipathies et nos discriminations

Prenez le temps mes frères
Prenons ce fragment de temps
Pour rire le vol des oiseaux
Dans le vide suspendu
Rire les couleurs
Et rire l’ampleur
Des galops et des pas
Chatouillant l’étendue de la terre

Rire l’harmonie des sons
Sur les lèvres des hommes et des animaux
Rions que la musique
Est le seul lien qui les unit

Prenons-le
Pour chanter la vie
Chantons Dieu
Oui chantons
Ceux qui ont su chanter
La beauté de la nature

Chantons
La fraicheur de l’eau
Déposée sur nos lèvres
L’amabilité des branches et des feuilles
De nous offrir leurs ombrages

Chantons
La douceur du vent
Hérissant nos cheveux
Que nous vivons
O Dieu Que nous vivons malgré tout

Qu’aurons-nous
A laisser nos cœurs
Arroser la terre de larmes et de sang?
Qu’aurons-nous
A nous torturer
A nous rendre coupable
Et à nous éteindre l’âme
Comme se dégénère
La mèche d’une lampe
Jusqu’à ce qu’il se noie au milieu de son baume

Qu’aurons-nous
A interpeller l’amertume et l’angoisse
A envahir le lit de nos cœurs?
Le poète adopte à l’égard du Temps une conduite pragmatique simple qui consiste , d’un côté , à profiter des bonnes occasions qu’il offre à l’être humain et qu’on classe habituellement dans la catégorie générale du Bien et , de l’autre , à en éviter les mauvaises qu’on place communément dans celle du Mal. Ce qui contribuerait à éloigner de la vie de l’individu et du groupe toute tracasserie et les aider à se délecter de ses douceurs afin de passer la courte durée qu’ils ont à vivre dans la quiétude, la sérénité et le bonheur . Cette philosophie rappelle , quelque peu , celle du poète persan Omar Khayyam ( mort en 1131 après JC ) bien plus osé , à vrai dire , du fait de l’apologie qu’il faisait des plaisirs terrestres même les plus prohibés par la religion comme le vin et la compagnie des belles femmes et des échansons ( les serveurs de boissons ). L’attitude modérée que prône l’auteur vis-à-vis de la vie rejoint , par contre , dans une certaine mesure , celle de l’Islam qui incite le croyant à agir pour la vie dans ce monde-bas comme s’il vivra éternellement et à agir pour la vie future comme s’il mourra demain ” ( parole du prophète ) , interdisant fermement l’ermitage , l’ascétisme et le célibat et encourageant le mariage .Le prophète , qui en donnait l’exemple , tenait à être tout le temps élégant . Il teignait sa barbe avec du henné , se taillait les moustaches très court et se parfumait .Parmi ses paroles les plus significatives dans ce sens : « Trois choses de votre monde, parmi tout ce qu’il contient  , me furent rendues dignes d’amour : les femmes , les parfums et l’oraison ». Néanmoins , le mot “mourant ” que le poète emploie dans le titre pour qualifier le Temps paraît impropre , vu qu’aucune forme de vie sur terre n’est capable de résister à l’usure et l’érosion du temps qui finira tôt ou tard par l’anéantir .C’est plutôt lui et non l’espèce humaine qui continue à durer depuis l’apparition de l’univers et qui ne disparaîtra qu’avec sa disparition .