La poétesse syrienne Suzanne Ibrahim :la philosophie de notre époque actuelle nous amène vers l’anarchie créatrice 5 septembre 2015 La poétesse syrienne Suzanne Ibrahim Les réseaux sociaux et notamment le facebook ont permis d’élargir les horizons de l’écrivain arabe en général, vu que sa voix arrive dès lors avec une extrême rapidité à des milliers de lecteurs et que plusieurs voix littéraires lui parviennent avec la même allure. Cette nouvelle situation vous impose-t-elle une responsabilité quelconque ? Il me plait de considérer les réseaux sociaux et surtout le facebook comme un sixième continent, puisqu’il n’y en a réellement que cinq dans le monde. Ce continent supplémentaire, bien que virtuel, est plus juste, plus démocratique et plus ouvert , du fait qu’il permet à n’importe qui lui formulant une demande d’entrée , d’y adhérer en tant que membre à part entière .Ainsi, ses habitants accroissent d’un jour à l’autre . Et à l’instar de tous les états du monde, il abrite toutes sortes d’humains des points de vue niveau culturel, appartenance intellectuelle et préoccupations. Ici, il n’y a ni frontières, ni d’accords, ni visa. Mais il y a, en revanche, un contrôle de la langue qui ne doit pas descendre au dessous d’un niveau minimum .Pour cela bien entendu, il y a dans ce continent deux côtés opposés :l’un est positif et l’autre est négatif …le positif est qu’il offre à tous ses membres la possibilité de s’exprimer à leur guise et à montrer leurs prouesses dans tous les sens, quel que soient le niveau et l’intérêt de ce qu’ils écrivent. Et dans cette terre fertile, l’écrivain grandit peu à peu, grimpe les distances et les espaces , construit des ponts vers d’autres personnes avec lesquelles il a en commun un intérêt ou un désir ou un projet quelconque …Certes, une multitude de voix d’individus qui prétendent être des écrivains domine, à cause de cette ouverture sans limite, le facebook de bout en bout ,mais l’écrivain authentique peut , malgré tout, tirer profit de cette promenade inédite ,en se créant un public et en gagnant de nouveaux lecteurs, par plus d’acharnement dans le travail et plus de concentration sur ce qu’il écrit ,en vue d’élever son texte à un haut degré de perfectionnement, car il est obligé de le mettre ensuite sur le trottoir de facebook c.à.d à la portée de tous ceux qui désirent le lire ou le commenter …Oui assurément , il y a là une responsabilité que l’écrivain doit assumer dans ces espaces virtuels …cette responsabilité est de dépasser l’état actuel des choses , de se porter éclaireur et de franchir de nouveaux pas . Au milieu de cette multitude de textes poétiques et narratifs qui se bousculent dans les réseaux sociaux à l’infini, on a remarqué la quasi- absence de la critique contre l’abondance des expressions de complaisance et surtout la fameuse « J’aime ».Et le résultat de cette pratique est que des milliers de personnes qui écrivent la poésie ou le récit croient vraiment qu’ils sont réellement des poètes et des romanciers et se sont mis à se comporter en tant que tels .Ne voyez-vous pas que cette situation porte un préjudice grave à la Création littéraire , étant donné qu’elle met sur pied d’égalité le vrai et le faux créateurs ? Il n’y a là, à ce que je pense, rien de nouveau, car ce qui s’applique au monde réel s’applique aussi au monde virtuel comme le facebook par exemple. En effet , les gens qui sont ici sont identiques à ceux qui sont là. Et conformément à ce que leur dicte leur nature humaine, ils se lèguent des maladies sociales qui découlent de l’héritage culturel et des us et coutumes qui leur ont été transmis par leurs aïeuls… ce qui explique que les gens sur facebook, au lieu de changer positivement sous l’effet de l’usage de ces nouvelles techniques, essayent de les adapter d’une manière contraire à certaines de leurs mauvaises habitudes qu’ils devraient s’en débarrasser afin de se diriger tout droit vers l’avenir. Les éloges, la flatterie et la panégyrique emphatique des écrivains et surtout des écrivaines ont conduit, exactement comme ce qui se passe d’ailleurs dans le mode réel, à la constitution d’une catégorie d’ « écrivants » .Et ceci est , à mon avis, normal et naturel, du fait que dans chaque terrain fertile il y a des herbes nuisibles ou parasites .Et c’est l’absence de la critique qui aide à la prolifération de ces « écrivants » comme les champignons dans les bois après une pluie .L’existence de cette catégorie est normale et connue de tout le monde dans tout lieu et temps …certains d’entre eux écrivent pour dépeindre leur intérieur et affirmer leur Moi ou dans l’espoir d’accéder au rang des écrivains éminents mais les intentions et les souhaits ne créent jamais de bons écrivains !Pour cette raison, il faut que la critique qui s’est trop absentée fasse un saut spécifique dans tous les domaines de la vie car son absence est une cause essentielle de notre retard flagrant par rapport aux sociétés avancées .Et cet état déplorable est dû au fait qu’aucun de nous n’ose mettre en question notre passé ou notre patrimoine ou notre histoire. Que dit-on alors de textes écrits par des adolescents et des adolescentes ?Cependant, en dépit de tout cela, le vrai créateur ou l’écrivain authentique mise aussi bien sur son texte, son évolution et sa transgression des normes établis que sur le facteur temps, parce que beaucoup d’imposteurs tombent en cours de route à cause de la tortuosité du chemin à parcourir et des grands sacrifices qu’il exige d’eux sans qu’ils soient capables de les consentir. On a remarqué que les revues littéraires en papier souffrent aujourd’hui de plus en plus de marasme, à cause de la hausse des coûts de leur impression, de la difficulté de leur distribution et de la récupération des montants de la vente. Ne voyez-vous pas que l’imprimé sur le papier est plus important pour l’écrivain que l’imprimé sur les supports électroniques, puisque c’est lui qui restera, en fin de compte, tandis que l’autre est menacé, à tout moment, de disparition, car il suffit que le propriétaire d’un site électronique donné le désactive par un simple clic ou meurt pour que les textes qui y sont publiés disparaissent ? Ceci ressemble, dans une large mesure, à la lutte entre les générations…Tout le monde penche , en effet, aujourd’hui pour l’équation suivante : ceci ou cela ! Mais n’y a-t-il pas une zone médiane entre ces deux extrêmes ? Chacune des deux sortes d’impression : sur papier ou électronique a aussi bien des qualités et que des défauts .Nous ,en général c.à.d. les personnes de ma génération et de celle qui nous a précédés sommes des « êtres en papier », du fait que nous avions utilisé pendant longtemps le papier, au point où s’est créée une relation très intime entre nous et lui …son odeur, son toucher, le son qu’il émet lorsque vos doigts le touchent …sa blancheur qui vous défie ainsi que votre plume et votre intellect …et aussi parce qu’il est vivant et chaleureux .Ne provient-il pas des arbres et des forêts? …Néanmoins, nous ne pouvons , du moment que nous venons de mettre le pied sur le seuil du troisième millénaire ,demeurer hors du temps .Car à chaque époque ses outils propres et quiconque se passe de ces outils se retrouvera, quelques années après, analphabète …il faut donc reconnaître que la publication électronique est plus facile , touche plus de public et est moins coûteuse …en plus elle permet à l’écrivain de publier ses textes un peu partout sur notre globe dans les sites électroniques des journaux et les blogs ou autres similaires .Mais tout ceci ne veut pas dire qu’il faut éliminer le papier , car il est plus sûr dans la conservation de nos archives …Pour cette raison, tirons profit des possibilités et des facilités que l’impression sur papier et l’impression électronique mettent à notre disposition et considérons la seconde comme un moyen de soutien supplémentaire…Et étant donné que je suis pour la protection de l environnement et des forêts , je souhaite que l’usage du papier se réduise au strict minimum . En tout cas, ne serait-il pas utile que la publication sur papier (dans une revue ou sous forme de livre) demeure pour l’écrivain le mode principal et constant tandis que la publication sur le net reste complémentaire, par exemple pour informer de la sortie d’un livre ou pour communiquer avec les amis ou d’autres écrivains ? Oui c’est à peu près ce que j’ai dit dans ma réponse précédente…Tout ce qui est publié sur le net est pour la commercialisation et l’ouverture de nouveaux portails afin d’atteindre d’autres éventuels lecteurs …Mais l’écrivain, en fin de compte, tient beaucoup à réunir ce qu’il a publié dans les supports électroniques, dans un livre en papier qui demeurera témoin de son œuvre, sans compter que les deux modes peuvent se cumuler , comme chez les grandes maisons d’édition et ce, pour faciliter l’atteinte du plus grand nombre possible de lecteurs. On remarque dans les milieux culturels sur les deux plans : arabe et mondial la disparition des groupements et des mouvements littéraires que mènent des chefs de file, contre l’orientation des poètes et des écrivains vers l’approfondissement de leur expérience individuelle, contrairement à ce qui était presque de règle durant le vingtième siècle. Comment expliquez-vous cette tendance générale ? Pourquoi les hommes et les femmes de plume laissent-ils aujourd’hui de côté l’idée de s’organiser au sein de mouvements ? C’est , à ce que je le suppose, la philosophie de la nouvelle époque au début de ce troisième millénaire. Et je ne crois pas que tous les mouvements qui avaient marqué le vingtième siècle aient apparu par hasard .Le plus logique est que leur apparition était une conséquence naturelle de la philosophie de cette époque…Ce sont les laboratoires de recherches philosophiques théoriques qui génèrent les nouvelles idées .Et les écrivains restent les principaux visés par ces idées, car c’est à travers leurs écrits et la quintessence de leur génie que se répand la philosophie adoptée. C’était une nouvelle station dans la vie de l’humanité . D’un autre côté, ces expériences avaient épuisé les opportunités qui leur étaient offertes et avaient dit tout ce qu’elles avaient à dire…Par contre, la nouvelle philosophie nous amène vers l’anarchie créatrice où tout est entremêlé et embrouillé…Et cette période peut s’allonger encore plus jusqu’à ce qu’apparaisse une autre philosophie ou d’autres mouvements …C’est la philosophe du choc des civilisations et de la fin de l’histoire…Observons donc la philosophie , les philosophes et leurs thèses pour connaitre les orientations de la littérature et de l’art en tout lieu et temps. 2015-09-05 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet